Alors que la levée des restrictions sanitaires autorise petit à petit le retour au bureau, les entreprises sont confrontées à un défi de taille. En effet, un actif sur deux exprime l’envie de se reconvertir – une proportion qui atteint 62% chez les 25-34 ans. Il faut dire qu’en un an, les attentes des salariés ont évolué. La perspective de travailler à temps plein dans un open space bruyant, et de se sentir parfois surveillé, n’a plus de quoi réjouir personne ! Dès lors, l’heure n’est certainement pas au « retour à la normale » telle qu’on l’a connue jusqu’en mars 2020, mais bien à l’écriture concertée d’un nouveau contrat entre employeurs et employés. Un contrat qui devra redéfinir entre autres la place du bureau dans la vie des salariés, et proposer de nouvelles solutions pour faire vivre – physiquement et à distance – une culture commune.
Une grande hétérogénéité des vécus et des attentes
Tous les employés n’ont pas traversé de la même manière l’année qui vient de s’écouler. Quand certains ont vécu la meilleure année de leur vie, d’autres ont été confrontés à de graves difficultés personnelles ou ont subi de plein fouet la pandémie. Sur le plan professionnel, l’IFOP faisait valoir que « la diversité des situations (…) a introduit des disparités de traitement importantes entre les actifs » : entre ceux qui ont continué leur activité et ceux qui ont dû l’interrompre, ceux dont la présence sur site était ou non indispensable, ceux qui ont de bonnes conditions pour travailler à la maison, et les autres…
De manière logique, tous aujourd’hui n’appréhendent pas de la même façon le retour au bureau. Ce qui représente une délivrance pour certains semble être une punition pour d’autres. En témoigne le nombre d’employés qui refusent tout simplement de revenir, mettent leur employeur devant le fait accompli d’un déménagement, ou, tout simplement, démissionnent… Du fait de la grande hétérogénéité des expériences et des attentes, il n’existe pas de solution unique applicable à tous. Pour engager leur organisation dans la sortie de crise, les employeurs vont devoir se mettre à l’écoute de leurs employés et de leurs problématiques spécifiques. Via des sondages anonymisés, il est notamment possible de distinguer les différents profils, de comprendre les raisons de ceux qui sont réticents à l’idée de revenir sur site et de concevoir une politique RH à plusieurs niveaux. Il sera sans doute nécessaire de revaloriser le management de proximité, et de favoriser l’accompagnement plutôt que le contrôle. Dans cette perspective, inutile de considérer les moments de « non-productivité » avec trop de sévérité : on s’est bien rendu compte, après un an de privation, de la valeur des interactions informelles, qui stimulent l’engagement et la créativité !
Le non-sens de moins en moins accepté
En bref, le futur du travail est encore à inventer, et il sera vraisemblablement différent d’une entreprise à l’autre, d’un métier à l’autre, voire d’un individu à l’autre. Mais d’ores et déjà se précise un dénominateur commun : le refus de toute règle dépourvue de sens. A quoi bon passer deux heures dans les transports, si c’est pour faire moins efficacement sur site ce qu’on pourrait faire chez soi ?
Pour autant, cela ne veut pas dire que le télétravail est la panacée. Le séminaire ou la formation à distance, par exemple, ne font pas que des adeptes ! « L’action n’est jamais possible dans l’isolement, remarquait Hannah Arendt dans Condition de l’homme moderne. Être isolé, c’est être privé de sa capacité d’agir. » Et toutes les réunions Zoom du monde ne remplaceront jamais un brainstorming dans une même unité de lieu et de temps, ni les rencontres ou échanges impromptus qui permettent parfois de solutionner un problème en quelques minutes.
Difficile de croire, donc, que le bureau est voué à disparaitre. En revanche, le bureau post covid ne sera pas le même que celui auquel nous étions habitués, et ces bouleversements nécessitent des ajustements de la part des organisations.
Reconstruire le collectif
Ce dont on prend aujourd’hui conscience, c’est que l’entreprise est au moins autant un lieu de vie qu’un lieu de travail. C’est cette dimension collective qu’il est important de
valoriser : demain, les talents ne viendront plus au bureau pour exécuter des tâches, mais pour créer et innover à plusieurs, et faire vivre la culture de leur organisation.
La mission de l’employeur est dès lors de leur donner les outils pour le faire. Beaucoup de salariés, aujourd’hui, se déplacent uniquement pour retrouver leur équipe : mais encore faut-il se concerter pour être dans les locaux au même moment !
Dans les projets de transformation numérique, ce volet de l’expérience employé qui consiste à pouvoir exprimer ses souhaits en matière de temps passé à distance, visualiser les calendriers d’équipes et réserver un lieu de manière fluide devrait occuper une place centrale. Mais au-delà, on peut imaginer que c’est la disposition même des locaux qui va s’adapter aux nouvelles aspirations des individus. Dropbox, par exemple, a réaménagé ses locaux en deux types d’espace : des salles de réunion, et des espaces de repos ou discussion informelle (type café ou bibliothèque).
En d’autres termes, le bureau n’est pas l’endroit premier où l’on produit, mais où l’on se retrouve. C’est peut-être dans cette perspective qu’il faut envisager le retour des salariés et, au-delà, les nouveaux modes de travail tels qu’ils se dessinent.