Quand une crise s’ajoute à une autre. Comment reconstruire une économie forte, écologique, souveraine et solidaire sans nouveaux emprunts et sans travailler plus ? Une reprise économique tirée par l’investissement n’est-elle pas plus efficace que par la consommation des ménages les plus aisées ?
Où sont les priorités ? Le 14 juin 2020, le Président a annoncé que la priorité était de “reconstruire une économie forte, écologique, souveraine et solidaire“, et il a ajouté “il faut travailler et produire davantage pour ne pas dépendre des autres“. Le 24 juin 2022 à Bruxelles : “tout cela crée une situation qui nous impose de prendre des décisions rapides sur plusieurs sujets dans l’énergie et de continuer à mettre en œuvre les grands chantiers structurants pour rendre notre Union justement plus forte, plus souveraine, plus solidaire sur le plan budgétaire et financier“. Et il a ajouté dans son interview télévisée du 14 juillet 2022 : “il n’y a pas de modèle social s’il n’y a pas de travail pour le financer“. Le mot écologie a disparu et le modèle social est remis en cause. Pour l’écologie le gouvernement prévoit de relancer les centrales à charbons pour éviter la pénurie d’électricité et un retour massif au nucléaire. Pourtant l’écologie rapporte de l’argent à l’État : l’éolien et le solaire vont rapporter au moins 8,6 milliards d’euros. Pour le modèle social il faut réformer l’assurance-chômage, le RSA, le régime de retraite, etc.
Fin 2019, la dette de la France a atteint 2 380,1 milliards d’euros et au premier trimestre 2022 la dette a franchi la barre des 2 900 milliards d’euros. L’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques) prévoit un déficit du PIB de 5,5% en 2022 et une croissance du produit intérieur brut qui chute à 1% en 2023. Quel chemin à prendre à l’épreuve des chocs externes ?
Une épargne des ménages qui perd de sa valeur. 318 milliards d’euros ont été économisés par les Français en 2020 et 2021 selon les calculs de la Banque de France, dont 175 Md€ sont un surplus d’épargne forcée (ou épargne Covid). Dans un scénario où 20% de ce surplus d’épargne seraient consommés, la croissance française serait de 6% en 2022 au lieu de 2,4%. Cette épargne non dépensée aurait dû alimenter une reprise mémorable en 2022 et 2023. Mais voilà, au lieu d’être employée, cette épargne perdra 108 milliards d’euros en 2022 à cause de l’inflation. Que souhaitent les Français : une reprise par la consommation des ménages les plus aisés, la lutte contre l’inflation par la distribution de chèques aux ménages les plus pauvres ou des investissements citoyens à long terme ?
Pour la France nous devons maintenant faire face à plusieurs défis connexes. Le premier est d’évoluer le plus rapidement vers une économie zéro carbone dans un cadre d’un pacte vert. Le second est de renforcer la prise en charge de la dépendance et du handicap et de rafraîchir le système de santé en très grande difficulté. Le troisième est de favoriser le pouvoir d’achat des plus pauvres. Le quatrième est de permettre un développement rural. Enfin le cinquième est d’accorder aux secteurs PME-PMI qui sont les plus touchés, un nouveau départ. L’industrie a enregistré une baisse de son activité, les services frôlent la récession. La baisse de l’activité globale enregistrée en juillet 2022 est la première depuis juin 2013.
Quelle option choisir ? Il existe sûrement plusieurs options pour y parvenir mais la majorité de ces options fait appel à un endettement extérieur. Au lieu de s’appuyer sur un boom des dépenses et de l’endettement, il faut opter pour des placements citoyens réglementés dans des investissements écologiques, sociaux et citoyens. Les économies des ménages seront gérées par des établissements de crédit publics paritaires et spécialisés. Ce mécanisme de financement permet de rémunérer à des taux avantageux les placements à la réalisation d’objectifs économiques et sociaux dans un cadre plus résilient.
Il faut investir un total de 2 800 Md€ sur 10 ans. Cette somme parait énorme si on oublie que la dette de la France a augmenté de 1 000 Md€ sur 10 ans : au 1er trimestre 2007 la dette était de 1 223 Md€ et au 2ème trimestre 2017 de 2 223 Md€. Elle est aujourd’hui à 2 900 milliards d’euros. Il s’agit d’investir chaque année 280 milliards d’euros :
- 100 Md€ pour le pacte vert (pour le Medef c’est 60 à 80 milliards de plus par an) ;
- 40 Md€ pour le pacte dépendance et handicap et un rééquilibrage du régime actuel des retraites et de santé ;
- 50 Md€ pour le pacte républicain de solidarité avec la création d’un Salaire Républicain de Solidarité de 1 450 euros net par mois ;
- 80 Md€ pour le pacte rural ;
- 10 Md€ pour le développement responsable des PME-PMI.
Ces investissements citoyens, comme tout investissement public, auront un très fort effet d’élan sur l’économie. L’OFCE dans son étude le multiplicateur d’investissement public explique : “À court terme, il est possible d’estimer le gain d’activité engendré pour chaque euro d’investissement public. La hausse du PIB par euro public dépensé est appelée multiplicateur budgétaire. Les études trouvent des multiplicateurs des dépenses publiques sur le PIB de 0,8 avec une grande variabilité des résultats… La littérature économique parvient à établir une supériorité de la relance par l’investissement par rapport à la dépense classique à long terme…Enfin, puisque le débat actuel sur la relance par la dépense se situe dans un contexte de crise économique, l’article montre que dans la littérature le multiplicateur atteint en période de crise des valeurs plus élevée comprises entre 1,3 et 2,5 à court terme. De plus, le résultat observé en temps normal (hors période de crise) est inversé : la relance par des grands projets d’investissement public apparaît plus forte que par la consommation publique”.
Dans la période de crise actuelle et au vu des taux d’intérêts, en se référant à cette étude, les investissements auraient un effet de création de richesse estimée à 1,3 avec 60 centimes rendus à l’État pour chaque euro investi. Ainsi pour une année, 280 milliards d’euros produiraient une nouvelle richesse de 364 milliards d’euros dont 168 milliards d’euros d’entrées dans les caisses de l’État.
BCE et croissance. Le 21 juillet 2022, la BCE vient de relever pour la première fois depuis onze ans ses taux directeurs de 50 points de base. En choisissant d’augmenter ses taux directeurs, la BCE va alourdir la dette extérieure de la France. Selon les estimations de la Banque de France, chaque hausse de 1% des taux entraîne, au bout de 10 ans, une augmentation de la dette de 5,5 points de PIB par rapport à une situation sans hausse de taux. Cette hausse, nécessaire pour lutter contre l’inflation, peut en revanche mettre en péril la croissance de la France au nom de la stabilité des prix. Pour sortir de cette ornière, l’investissement citoyen doit être au cœur de la stratégie gouvernementale de développement