De l’impérieuse nécessité de (savoir) négocier ! Idées reçues, éclairages et usages quotidiens

Le monde, qui est le nôtre, s’est remarquablement complexifié : contraction des ressources, réchauffement climatique, concurrence accrue, tensions croissantes, volatilité des matières premières, positions radicales … Dans un tel contexte, la bonne volonté suffit difficilement à faire bouger les lignes. Comment espérer du win-win quand les parties prenantes n’ont aucune intention d’y adhérer ? Face à cette réalité, les méthodes classiques perdent de leur réalisme, et conséquemment, de leur efficacité. Sans même évoquer le marchandage où chacun s’accommode tant bien que mal d’un accord bancal, dont les pourtours ressemblent étrangement à une poire coupée en deux.

La difficulté de négocier en environnement complexe

Négocier en environnement complexe est non seulement exigeant, mais surtout, difficile. Et contrairement à beaucoup d’idées reçues, la négociation n’est pas un soft-skill, mais un hard-skill. Pourquoi certains réussissent quand d’autres échouent ? Seraient-ce les individus les plus chanceux au monde ? La réalité est malheureusement tout autre. On aime à penser que la négociation est avant tout une subtile alchimie d’écoute, d’empathie et d’assertivité. Ces trois ingrédients « miracle » devraient être en réalité la base de toute relation interpersonnelle. Une bonne écoute vous sera-t-elle cependant suffisante pour minorer une demande ? Une empathie développée vous sera-t-elle utile pour retourner un rapport de force défavorable ? Ou une assertivité sans faille vous sera-t-elle efficace pour gérer un profil difficile ? Pas du tout.

Savoir négocier augmente drastiquement vos chances de succès

Si la négociation se nourrit de l’expérience acquise, c’est surtout un métier d’expertise, au même titre que le droit, l’économie ou les mathématiques. Façonner la perception de quelqu’un, contrecarrer une menace, restaurer un rapport de force, repousser un ultimatum, faire accepter une solution dégradée, choisir la stratégie idoine ou encore induire un changement pérenne nécessite un savoir-faire singulier. Prendre conscience de cette réalité permet d’aborder nos conflits sous un autre angle. Et savoir négocier augmente drastiquement nos chances de succès. Même si la comparaison peut paraître douteuse, car la négociation vise à éviter la guerre, quand on sait très bien se battre, on aborde une agression physique complètement différemment. Dans le cas inverse, il y a de fortes chances qu’on perde ses moyens. Et même sans perdre ses moyens, vous auriez très peu de chances de prendre le dessus. La négociation répond au même principe de réalité.

Certains opposeront qu’ils n’ont pas à négocier dans leur métier ou dans leur quotidien. Or, nous sommes tous amenés à négocier tous les jours. Pourquoi ? Simplement parce-que nos vies respectives sont rythmées par des conflits constants. Et c’est d’ailleurs le propre de la cohabitation sociétale. Mais attention le conflit n’est pas synonyme d’agressivité ou de violence. Le conflit est simplement l’expression d’un désaccord. Et, par essence même, c’est normal que nous ne soyons pas toujours d’accord avec tout le monde. Soit dit au passant, fort heureusement, sinon le monde serait un enfer. On changerait alors d’avis à chaque fois que l’une des huit milliards de personnes sur cette terre aurait une nouvelle idée.
La négociation naît précisément du conflit. Sans désaccord, il n’y a pas de négociation. Et que nous le voulions ou pas, nous gérons des conflits au quotidien, avec nos collègues, nos collaborateurs, nos chefs, nos enfants, notre famille, l’administration, nos voisins, nos amis ou encore notre plombier.

De l’impérieuse nécessité de (savoir) négocier :  manager est un acte de négociation

Par extension, manager est un acte de négociation. Sauf si vous encadrez des équipes de robots, vous devez transcender les résistances, faire accepter une mission commune, ventiler les émotions dégradées de certains collaborateurs, réguler votre stress, faire passer vos idées ou encore gérer des dissensions internes. La négociation ne se résume donc pas à des relations transactionnelles, où il s’agit de vendre et d’acheter un produit ou un service. Au contraire même, elle intervient dans la plupart des cas dans des champs informels.
« Oui, mais moi ce que je fais, ce n’est pas de la négociation ! Je suis dans des situations où je n’ai rien à donner à mon interlocuteur, donc je ne peux pas couper la poire en deux ! ». Un autre mythe est de considérer que la négociation est du donnant-donnant ou une recherche de consensus. Dans mon métier, je conduis ou accompagne une trentaine de négociations par an, qu’elles soient commerciales, sociales, financières, diplomatiques ou encore liées à la crise (extorsion ou kidnapping), et je n’ai jamais les moyens de couper la poire en deux, tellement le mandat qui m’est confié est limitant.

Trouver un accord où chacun a le sentiment d’obtenir quelque chose de juste

Je me souviens de cette négociation où les propos du directeur général m’avaient marqué. Je suis appelé par une multinationale pour les accompagner dans leur NAO (Négociations annuelles obligatoires où les augmentations de salaires, entre autres, sont négociées entre les partenaires sociaux et la direction). Chaque année, l’entreprise verse en moyenne 4% d’augmentation générale à tous ses salariés.
Comment arrive-t-on à un tel résultat récurrent ? Les syndicats exigent entre 6% et 8% quand la direction propose 2%. Et par un jeu de marchandage qui se répète tous les ans, un accord est trouvé à mi-chemin, autour de 4%. L’année où je suis sollicité, la multinationale ne peut accorder plus de 2%, dans un environnement où syndicats sont très puissants, particulièrement virulents et prompts à la grève. Après deux mois d’âpres négociations, nous entérinons un accord à 1,8%. Abasourdi, le directeur général vient me voir en me demandant : « Mais comment avez-vous fait ? ». J’ai juste répondu que nous avions négocié. Il a renchéri en assénant « Mais que leur avez-vous donné ? ». Rien de plus que les 1,8%.
Cet exemple illustre à bien des égards la différence entre le marchandage et la négociation. Bien sûr que cette négociation était longue et très difficile et que nous avons évité de près la grève. Mais ce qui importe est de trouver un accord où chacun a eu le sentiment d’avoir obtenu quelque chose de juste. Et ce qui est « juste » est uniquement lié à la perception de chacun. A nous de la façonner de telle sorte pour que le gain perçu prévale sur le gain réel. Les avons-nous manipulés pour autant ? Pas du tout. D’ailleurs, si cela avait été le cas, ils l’auraient découvert rapidement. Comme l’accord doit être pérenne, c’est en définitive le mélange subtil de techniques d’influence avancées pour minorer leur demande, de neutralisation de menaces et d’ultimatums, d’approches tactiques rupturistes qui ont permis de faire de la différence. Sans ce hard-skill qui donne précisément ses lettres de noblesse à la négociation, nous aurions très certainement outrepassé notre mandat pour finir aux 4% habituels, assortis d’une grève en prime.
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