La contestation sourde et souterraine
L’écriture de cet article m’est venue à la suite d’une série d’entretiens dans une entreprise. Certes dans cette dernière depuis belle lurette, il n’y a pas eu de gros mouvements de grève contestataire attisés par les syndicats. Mais peut-on dire pour autant qu’il n’y a pas de conflit ? Je ne le pense pas. Loin de là, les conflits de fait sont moins apparents, latents parfois, mais bel et bien présents. Ils prennent une autre forme, plus sourde, plus sournoise aussi. Nous assistons à une évolution de la manifestation de la conflictualité. Derrière les sourires éclatants se cachent des dents acérées, des peurs, des incompréhensions, des propositions qui non entendues se transforment en revendications individuelles.
Parce qu’elle est là, la véritable différence avec les mouvements sociaux d’autrefois. En fin de compte nous avons substitué les conflits collectifs par des contestations individuelles. C’est beaucoup moins audible mais cela reste réel et existant. Et si toutes les personnes interrogées se regroupaient et osaient parler entre-elles, elles se rendraient bien compte que les causes de mal être au travail sont sensiblement les mêmes. Les revendications communes pourraient alors être portées par un collectif, pour plus de puissance, mais l’heure étant à l’individualisation et à la personnalisation vis-à-vis de son travail, il semble « normal » à beaucoup de gérer leurs conflits et leurs difficultés individuellement. Comment pourrait-il en être autrement, à l’heure de la méfiance et de la défiance ? Dixit un employé : « Non, je vais me débrouiller seul… faut vraiment être dans la merde pour faire appel aux syndicats ! Si ça chauffe, je me rapprocherais d’eux »… Et voilà comment les syndicats, dépositaires jusqu’à présents de l’action collective en entreprise, peuvent être dépossédés d’une partie de leurs moyens récupérant de fait une partie seulement des salariés les plus en souffrance et/ou ceux qui ont vu celle de leurs collègues et souhaite agir pour tenter de la contrer.
Pour approfondir le sujet Méthode Harvard : prendre plaisir aux conflits
Multiplication des formes d’opposition en entreprise
Les causes d’opposition trouvent le plus souvent leur origine dans un sentiment d’injustice, un manque de reconnaissance ou des incompréhensions (absence de communication etc..). Mais encore faut-il définir ce qu’est l’opposition. S’opposer c’est mettre une résistance à quelque chose ou à quelqu’un. Il y a la notion sous-jacente de mettre un obstacle et dans le contexte qui nous intéresse ici, mettre un obstacle à la réalisation des tâches demandées voire exigées par le management. La grève, radicale, est l’opposition la plus spectaculaire. Il existe tout un panorama des formes d’opposition allant de la “récalcitrance” au cynisme, en passant par l’irrévérence ou le renoncement. Concrètement les oppositions peuvent prendre la forme d’arrêts maladie prolongés, de retard, de présentéisme, d’oubli à la tâche… tout cela pour expliquer le mécontentement et l’insatisfaction au travail. A l’heure de la « psychologisation » du travail, nous avons systématiquement tendance à ne pas remettre en cause l’organisation du travail, mais plutôt à catégoriser les individus : un tel sera passif-agressif, un autre obsessionnel, une autre agressive voire hystérique… je suggère ainsi que les problématiques individuelles dans une structure ne soit plus seulement regardées à travers le prisme de l’individu seul, mais aussi comme une manifestation d’un mécontentement, d’un mal être, d’un problème dans l’organisation, d’une opposition au travail tel qu’il peut être demandé. Opposition pas toujours si irrationnelle que cela.
Pour approfondir le sujet Le conflit conduit à de meilleurs résultats
A lire : Le conflit en grêve ? (La dispute 2005) ouvrage collectif dirigé par Jean Michel Denis et Quand les cadres se rebellent (Vuibert 2006) de Jean Michel Thoening et David Courpasson.