Une forte remontée des inégalités
« Il y a beaucoup de points communs entre la société actuelle et celle du 19e siècle », note Marc Loriol qui a beaucoup étudié cette période. Creusement des inégalités, accaparement des richesses par une minorité… « Thomas Piketty l’a démontré dans son livre**, on constate une très forte remontée des inégalités, fait remarquer le sociologue. En ce sens, on se rapproche de la période de la fin du XIXème où beaucoup s’étaient fortement enrichis avec l’industrie ». Il serait donc logique, selon Marc Loriol, que la philanthropie réapparaisse au moment où l’on constate un nombre accru de gens démunis tandis que les plus riches échappent en partie à l’impôt et où cette misère est dénoncée dans les médias. La générosité remplacerait en quelque sorte la charité que l’on faisait au XIXème.
Quand les milliardaires réclament d’être taxés
Néanmoins, est-elle sincère ? On peut le croire lorsque le milliardaire Warren Buffet et 44 autres millionnaires américains signent une pétition en 2010 appelant le gouvernement à les taxer davantage via l’abandon d’allègements fiscaux en vigueur depuis 2001. Raisons invoquées : la santé fiscale du pays et le bien-être de la population. « Certains milliardaires – notamment ceux qui se sont faits eux-mêmes – estiment qu’il n’est pas forcément bon de tout léguer à leurs enfants », explique Marc Loriol. L’initiative, en tout cas, « avait provoqué une levée de boucliers de la part d’autres riches », même si elle avait été copiée par de grandes fortunes de l’Hexagone, un an après. Seize très hauts revenus français tels Franck Riboud (Danone) ou Liliane Bettencourt (L’Oréal), avaient demandé une contribution exceptionnelle afin d’éponger la dette du pays. Une doléance restée vaine.
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La réputation, un bien supérieur
Une chose est sûre, ce type d’initiative, très relayée par les médias, est excellent pour l’image des patrons et des grandes fortunes. Et c’est sans doute ce qu’ont compris bon nombre de Pdg comme celui de Facebook qui annonçait en décembre dernier à l’occasion de la naissance de sa fille, le don progressif de 99 % de ses actions, soit près de 45 milliards de dollars (39 milliards €). « La réputation est un bien supérieur par excellence (opposé aux biens inférieurs comme l’alimentation ou le logement) à laquelle les riches donnent de l’importance », note le sociologue. L’image personnelle compte beaucoup.
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Le « geste du Prince »
Ce n’est pas un hasard si le Pdg d’Admiral Group (assurance auto) a annoncé via un communiqué de presse le versement de 7 millions de livres (8,7M€) à ses collaborateurs du monde entier à l’occasion de son départ en retraite. S’il est généreux, le patron aimerait de surcroît le faire savoir. « C’est le geste du Prince », comme le dit justement le sociologue. Des « Princes » qui sont également conscients que leurs collaborateurs – surtout les meilleurs – sont précieux et qu’il faut les choyer. Sous peine de les voir quitter le navire. « Les entrepreneurs ont pris conscience d’une certaine dépendance vis-à-vis de leurs salariés compétents », poursuit le sociologue. Les primes ou les offres en nature sont encore les meilleurs moyens de les garder. Pourvu que cela se sache.
*Marc Loriol et Nathalie Leroux, auteurs de Le travail passionné, Erès, coll. «Clinique du travail», 2015
** Thomas Piketty, auteur de Le Capital au XXIe siècle, Le Seuil, coll. « Les livres du Nouveau Monde », 2013