Dans un billet très récent, Philippe Silberzahn, professeur à EMLyon, s’en prend à une vision française technocratique de la création d’entreprise. Ce billet, « 6 étapes pour créer son entreprise: la folle recommandation de BPIFrance » débute par « C’est à désespérer » et s’achève ainsi « On arrête quand cette folie ? ». On peut adhérer ou pas à la totalité de ces propos, mais l’approche entrepreneuriale de l’effectuation mérite d’être mieux connue et comprise.
L’effectuation : de quoi parle-t-on vraiment ?
Effectuation : Action par laquelle une chose advient à la réalité selon le Larousse. Dans le monde des entrepreneurs, l’effectuation fait référence aux travaux menés dès la fin des années 90 par Saras Sarasvathy, universitaire américaine et spécialiste de la théorie des opportunités. Ses travaux cherchent à répondre à cette question « quel est le processus de décision des entrepreneurs ayant réussi ? ».
Saras Sarasvathy se méfie de la mémoire sélective de ceux qui ont réussi. Alors, elle n’interroge pas de brillants chefs d’entreprise en leur posant la traditionnelle question: « comment avez-vous réussi ? ». Elle leur demande plutôt : « face à telle situation en entreprise, comment réagiriez-vous ? ».
Plus simplement : si vous invitez quelqu’un à dîner ce soir, deux solutions sont possibles. Soit vous établissez votre menu et vous allez faire vos courses (c’est l’approche causale). Soit vous ouvrez le réfrigérateur, le congélateur et le placard et vous cuisinez ce qui est disponible (approche effectuale).
Ainsi, en complément d’une approche causale – l’objectif défini initialement fixe les moyens à y consacrer – la logique effectuale s’appuie sur le postulat suivant : les ressources vont déterminer les objectifs.
Les cinq principes imagés de l’effectuation
Les principes généraux de l’effectuation se résument à quelques idées forces, toujours imagées :
Bird-in-hand principle : un tiens vaut mieux que deux tu l’auras. Je ne pars pas du néant, mais de ce que je suis, de ce que je connais et de qui je connais. De plus, je dispose de moyens et de ressources, même limités. Quels effets obtenir à partir de tout ça ?
Ajoutons qu’il n’existe pas de profil type de l’entrepreneur et que n’émergent pas des histoires personnelles de ceux qui ont réussi des qualités exceptionnelles ou des dons particuliers qu’on ne retrouverait pas chez ceux qui ont échoué. C’est donc d’abord une question de volonté : se lancer.
Affordable loss principle : la perte acceptable. Le bon entrepreneur n’aime pas le risque mais sait définir un risque acceptable. Que suis-je prêt à perdre si le projet ne débouche pas (de l’argent, du temps, …) ? attitude plus réaliste que de tout bâtir, dès le départ, sur un gain potentiel attendu.
Crazy quilt principle : le patchwork fou. Dans un patchwork, le motif final n’est pas connu à l’avance car il dépend de la taille, de la forme ou de la couleur des différents morceaux de tissus à disposition. De même, l’entreprise évoluera en fonction des ressources utilisées, celles présentes et disponibles à un moment donné, apportées par les parties prenantes (clients, fournisseurs, associés, employés). Nouvelles ressources donc nouvelles pistes, c’est-à-dire innovation et créativité.
On s’imagine aussi souvent que l’entrepreneur réussit seul. Ce n’est souvent qu’une apparence. Pas de vraie réussite sans une équipe où chacun apporte des compétences complémentaires. L’entrepreneur se conçoit d’abord comme un meneur d’hommes.
“When life gives you lemons, make lemonade” : la limonade. Sauf à de rares exceptions, l’entrepreneur n’est pas un visionnaire. La grande idée n’est pas à l’origine du projet, elle se développe au fil du temps. L’idée initiale change, suite à une observation, à une demande d’un client, à une occasion qui se présente. La surprise devient alors une opportunité. L’entrepreneur exploite les évènements de la vie.
Pilot-in-the-plane principle : le pilote dans l’avion. Il s’agit d’abandonner la logique de prédiction (que sera le marché ?) au profit de celle de contrôle (inventons le marché). L’entrepreneur n’est pas là pour prédire l’avenir, mais pour agir sur son environnement pour le transformer.
On peut résumer l’idée d’entreprendre ainsi. Au départ, c’est la rencontre entre un être humain et un déclencheur (une situation originale, une rencontre, un étonnement, un besoin non satisfait) qui générera l’idée. Cette idée deviendra une opportunité sous réserve de (vouloir) passer à l’action. Enfin, cette opportunité ne sera viable que lorsqu’elle pourra s’appuyer sur un engagement réel (de partenaires, de clients, de fournisseurs) à même d’apporter des moyens au projet. Cette viabilité permettra aussi à cet entrepreneur de définir de nouveaux buts.