Coup de tonnerre dans l’univers pourtant si feutré du droit des affaires d’ordinaire peu enclin aux remous médiatiques. Dans un arrêt rendu le 25 novembre 2020, la Cour de cassation a en effet considéré qu’une entreprise pourra désormais, au regard de certains critères, être poursuivie – donc condamnée – pénalement pour des faits commis par la société qu’elle a absorbée et ceci même avant l’acquisition de cette dernière . Une véritable déflagration dans le petit monde des fusions-acquisitions !

 

 

En d’autres termes, toute SA, SAS ou SCA ayant absorbé une autre société par actions à compter du 26 novembre 2020, pourra être poursuivie devant les juridictions répressives pour des faits commis par la société absorbée avant cette date. Telle est la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation que doit impérativement assimiler le monde des affaires afin d’adapter ses pratiques d’acquisition et de restructuration.

 

Transfert de la responsabilité pénale

 

Jusqu’à présent, le principe selon lequel nul n’est responsable pénalement que de son propre fait avait conduit la Haute juridiction française à s’opposer à ce qu’une société absorbante puisse être poursuivie et condamnée pénalement pour des faits commis par la société absorbée avant l’opération de fusion.

 

Sous l’impulsion du droit communautaire et européen, les juges français ont donc revu leur position ce 25 novembre 2020, en considérant que l’absorption d’une société par actions par une autre n’avait pas pour effet d’éteindre l’action publique à l’égard de l’absorbante qui peut donc encourir une responsabilité pénale pour des faits qu’elle n’a pas commis.

 

Si la fusion-absorption emporte la dissolution de la société absorbée, elle n’entraîne cependant pas sa liquidation, de sorte que la société absorbée ne disparaît pas véritablement mais change de forme, son patrimoine étant universellement transmis à la société absorbante.

 

Il y a donc continuité juridique et économique. Comme le soulignent les juges « l’activité économique exercée dans le cadre de la société absorbée, qui constitue la réalisation de son objet social, se poursuit dans le cadre de la société qui a bénéficié de cette opération. »

 

Par conséquent, sur le plan pénal, outre le transfert de responsabilité, les règles relatives au sursis et à la récidive devraient trouver à s’appliquer en cas de condamnation pénale de la société absorbante préalablement à la fusion.

 

Le champ d’application de ce nouveau principe de transfert de responsabilité pénale est assorti de trois limites :

  • le transfert de responsabilité ne concerne que les sociétés par actions,
  • est limité aux peines d’amende et de confiscation,
  • et ne s’appliquera qu’aux opérations conclues à partir du 26 novembre 2020.

 

Ces garde-fous céderont néanmoins en cas de fraude à la loi, c’est-à-dire lorsque l’opération de fusion aura eu pour objectif de faire échapper la société absorbée à sa responsabilité pénale. :

 

 

 

 

Auditer, auditer, auditer

 

En pratique, le principe de transfert de la responsabilité pénale dont est issue cette décision risque d’avoir des implications considérables.

 

Le premier réflexe des candidats à la fusion sera de diligenter une revue juridique poussée de la société absorbée afin d’identifier et de quantifier le risque pénal dont l’absorbante pourrait hériter. La Cour de cassation invite d’ailleurs à une telle précaution.

 

Toutefois, si les audits juridiques pré-acquisitions devront être renforcés sur les problématiques pouvant avoir des implications pénales, deux écueils seront difficilement surmontables :

  • en droit pénal de l’entreprise, les faits sont bien souvent dissimulés de même que les enquêtes pénales révélées aux personnes mises en cause tardivement. Dans ces conditions, les risques seront très difficilement identifiables.
  • le rallongement du délai de prescription de l’action publique de 3 à 6 ans (loi du 27 février 2017) devrait également inciter les entreprises à étendre la période couverte par l’audit.

 

Garantir le « passif pénal »

 

Quand bien même le risque pénal de la société absorbante est cantonné par la Cour de cassation aux peines d’amende et de confiscation (sauf fraude à la loi), les montants en jeu peuvent parfois s’avérer colossaux notamment en matière de délits fiscaux ou environnementaux. Par exemple, la peine encourue par une personne morale en cas de fraude fiscale aggravée est de 15 M€ mais peut être portée au décuple du produit tiré de l’infraction.

 

La condamnation à une amende entraînera l’apparition d’un nouveau passif amoindrissant nécessairement la valorisation des titres de l’absorbante. Afin de s’en prémunir, les actionnaires de l’absorbante pourraient exiger des garanties, comme le suggère la Cour de cassation, en sollicitant, l’insertion d’une clause de déclarations et de garanties dans l’accord de fusion”.

 

La mise au point d’un tel mécanisme de garantie s’annonce cependant délicate.

 

Le bénéficiaire de la garantie ne pourrait, en effet,  pas être la société absorbante mais ses actionnaires puisqu’un principe d’ordre public interdit de délester une personne des conséquences de sa responsabilité pénale.

 

La délicate gestion du risque “extra-pénal”

 

Outre les peines d’amende et de confiscation déjà difficilement prévisibles et quantifiables, s’ajoute un risque parfois plus redoutable : le risque extra-pénal, à savoir la couverture médiatique accordée à certaines affaires pénales engendrant un risque de grave atteinte à la réputation de l’entreprise et difficile à corriger.

Atteinte à l’image de marque, désaffection de la clientèle ou des partenaires commerciaux ou financiers, etc. les conséquences d’un procès pénal ou d’une simple mise en cause pourront provoquer à une perte significative de valeur de l’entreprise absorbante.

 

A la détérioration de son image s’ajoute le bannissement de l’absorbante des marchés publics en application du Code de la commande publique qui prévoit une interdiction obligatoire de soumissionner en cas de condamnation définitive du chef de certaines infractions pénales.

 

En définitive, en raison de la difficulté d’appréhender la perte de valeur de l’absorbante consécutive à une condamnation pénale (amendes et confiscation mais également atteinte à la réputation, interdiction de soumissionner), l’accord de fusion pourrait confier à un expert ou un arbitre le soin de fixer le montant de l’indemnisation pouvant revenir aux actionnaires de l’absorbante.

 

Nous ne pouvons donc que vous conseiller de vous adjoindre l’expertise avisée d’un avocat spécialiste du droit pénal des affaires pour vous assister dans cette démarche.

 

 

Avocat au barreau de Paris depuis 2010, Me Romain Rue assiste et défend les dirigeants, sociétés et actionnaires devant les juridictions répressives notamment en matière abus de biens sociaux, d’abus de confiance, d’escroquerie et de fraude fiscale. Il accompagne également ses clients dans leurs litiges civils et commerciaux.

Il est membre de l’Institut du Droit Pénal Fiscal et Financier (IDPF2). »

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