Le rachat d’entreprises innovantes – concurrentes ou complémentaires – a le vent en poupe en France comme en Europe. Pour beaucoup d’acquéreurs, il s’agit de gagner en compétences et en performances, surtout quand leurs cibles sont porteuses d’innovations. Avec à la clé un avantage sur leurs concurrents.
Le rachat d’entreprises est devenu une discipline olympique en France. En témoignent les chiffres de la Bourse de transmission de BPI France : en 2022, 31717 entreprises ont été rachetées (+14,3% par rapport à 2021). Aujourd’hui, plus de 45000 entreprises seraient même à reprendre dans le pays. Sans compter les entreprises du reste de l’Union européenne. Si l’écrasante majorité de ces acquisitions concerne des sociétés en mauvaise posture, l’histoire est tout autre quand il s’agit de racheter des entreprises innovantes.
Mieux maîtriser les coûts et les données, grâce au rachat d’une entreprise innovante
Le secteur de l’agro-alimentaire voit débarquer les nouvelles technologies. Le 31 octobre dernier, le groupe coopératif Innoval devenait l’actionnaire majoritaire d’ITK, une société d’agritech basée à Montpellier.
À première vue, le lien n’est pas évident entre les deux structures : basé à Rennes, le groupe Innoval propose des services en amont de la chaîne de production de l’élevage français. ITK, jusqu’alors propriété d’EDF et de la société d’investissement Starquest Capital, développe des solutions de modélisation agronomique et d’intelligence artificielle. Objectif de l’acquisition pour la coopérative agricole regroupant 30000 adhérents : mieux maîtriser les coûts de cette filière en difficulté et rendre à nouveau attractif le métier d’éleveur alors que leur nombre est en constante diminution.
Chez Innoval, cette stratégie de rachat afin d’intégrer ITK au groupe fait partie de l’ADN de la coopérative, elle-même fruit de la fusion de 25 entreprises au cours des deux dernières décennies. Le processus coulait donc de source. « Cette acquisition s’inscrit dans notre axe innovation, explique Yann Lecointre, directeur général du groupe coopératif Innoval. Nous avons lancé le projet Innoval 2.0 avec l’idée d’avoir, avec l’accord de l’éleveur, toutes les données d’un élevage sur une seule base de données. L’objectif est de faire mieux parler les données dans tous nos métiers, mais aussi d’en collecter d’autres. En août 2021, le conseil d’administration d’Innoval a donc validé un projet d’investissement important pour créer un réseau de fermes-pilotes équipées de tous les matériels de collecte de données possibles, avec l’ambition de passer d’un conseil curatif auprès des éleveurs à un conseil préventif. Ces données peuvent être enrichies avec des éléments de géographie, de météo, etc., ce que fait ITK. » Le mariage était donc logique.
La recherche et le développement, le nerf de la guerre
Les solutions innovantes intéressent toujours les grands groupes. C’est aussi valable dans l’industrie pharmaceutique où de nombreuses biotech et medtech françaises sont rachetées au cours de leur développement, à la fois pour leur permettre de grandir et pour renforcer des entreprises établies grâce à leurs innovations.
En septembre dernier par exemple, les Laboratoires Pierre Fabre ont annoncé le rachat de la biotech Vertical Bio, qui développe une thérapie porteuse de promesses pour les malades atteints du cancer du poumon, ainsi que l’entrée au capital de la start-up Miyé, spécialisée dans l’équilibre hormonal féminin. Le groupe pharmaceutique originaire de Castres a pu se lancer dans ces opérations grâce à de bons résultats – 2,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2022, en augmentation de 10% par rapport à 2021 – et à des partenariats déjà solides avec les laboratoires américains Pfizer et Scorpion Therapeutics.
Dans le cas de Vertical Bio, l’objectif des Laboratoires Pierre Fabre est désormais d’accompagner le médicament anticancéreux dans sa phase de développement clinique, avec comme perspectives les premières études sur l’homme en 2024. « Cette acquisition atteste à nouveau de notre engagement et de notre investissement dans la découverte et le développement de traitements innovants en oncologie de précision », se félicite Éric Ducournau, directeur général du groupe. Dans le cas de la start-up Miyé, cette entrée au capital permettra surtout la poursuite des travaux en recherche et développement. Le groupe Pierre Fabre ajoute ainsi une pépite française à son tableau de chasse et compte garder une longueur d’avance sur la concurrence pour les produits féminins.
Rachat d’une entreprise innovante : l’innovation au cœur des stratégies
Aujourd’hui, le maître-mot est l’innovation. D’une manière ou d’une autre, presque tous les métiers ont pris le train en marche de la digitalisation, voire de l’intelligence artificielle. Pour les entreprises historiques ou celles bien implantées dans leur domaine d’activité, racheter une startup ou une entreprise détentrice d’un savoir-faire innovant constitue souvent un bon investissement. À la fois technologique, humain et financier. Lors de ces acquisitions ou de ces prises de participation, les objectifs recherchés sont souvent les mêmes : créer des synergies, digitaliser une partie des process, améliorer la sécurité, traiter les données plus rapidement et plus efficacement, être plus performants face à la concurrence… Quel que soit leur leitmotiv nº1, les chefs d’entreprise à la recherche d’une entreprise susceptible de compléter leur offre le savent, leurs concurrents suivront de très près de leurs opérations.
Dans le marché très compétitif de l’impression de billets de banque par exemple, le fabricant historique français Oberthur Fiduciaire vient de dégainer et de faire mouche avec le rachat de l’entreprise suédoise Rolling Optics. Après la crise sanitaire du COVID-19 qui a secoué les économies mondiales, l’entreprise française a maintenu son cap contre vents et marées afin de répondre aux demandes des banques centrales. En Europe comme dans le reste du monde.
Pour Oberthur, prendre le contrôle d’une entreprise comme Rolling Optics a répondu à un objectif crucial : améliorer la qualité et la sécurité. « Développer de nouvelles solutions est plus important que jamais, avance Thomas Savare, PDG d’Oberthur Fiduciaire. C’est pourquoi, en plus de nos recherches internes essentielles, nous avons décidé récemment de prendre le contrôle de la société suédoise Rolling Optics. Cette petite entreprise d’exception est spécialisée dans les technologies micro-optiques qui assurent une parfaite sécurité des billets de banque et de tout autre document d’identification nécessitant des dispositifs anti-contrefaçon ultra sophistiqués. Certaines innovations de Rolling Optics sont déjà utilisées sur de nombreux billets de banque et l’entreprise détient une cinquantaine de brevets. »
L’entreprise française procède rarement à ce type d’opérations, mais cette dernière lui permettra de pousser son avantage qualitatif. En 2017, elle avait déjà racheté VHP Security Paper, référence mondiale dans la fabrication de papier depuis le XVIIe siècle, entre autres accréditée par la Banque centrale européenne (BCE). Pour le patron d’Oberthur Fiduciaire, ces synergies font gagner de l’expérience et du temps : « Nous lancerons prochainement un nouveau produit – AnimaTM – en partenariat avec Rolling Optics, poursuit Thomas Savare. Ce nouveau produit complète notre gamme d’offres dans le segment des fils et feuilles haut de gamme pour le marché des billets de banque. Avec Relief et ses effets 3D uniques, et Pulsar qui intègre une micro-optique ingénieuse, pour ne citer qu’eux, Oberthur Fiduciaire occupe désormais une position clé dans le domaine des solutions innovantes. » Pour ce fleuron français de l’industrie fiduciaire, le rachat de Rolling Optics permettra donc de garder une longueur d’avance sur les faux-monnayeurs. Et sur ses concurrents.
Le rachat d’une entreprise innovante doit générer pour les deux parties un avantage face à la concurrence
Dans tous ces cas de figures, les rachats ont eu plusieurs vertus. Selon Tom Schmitz, maître de conférences à l’Université Queen Mary de Londres, il existe « deux effets positifs principaux aux acquisitions. Premièrement, elles peuvent stimuler la création de startups : les entreprises en place paient de grosses sommes d’argent pour les startups, ce qui peut motiver les gens à créer une startup en premier lieu. Deuxièmement, les entreprises en place ont plus d’expérience, un meilleur réseau de distribution, plus de ressources financières, etc. On peut donc imaginer une division du travail bénéfique dans laquelle les startups trouvent des idées innovantes et les opérateurs historiques les mettent sur le marché ».
Dans les acquisitions, ce qui est bon pour l’entreprise rachetée doit être bon pour le groupe, et vice-versa. « Notre ambition est bien sûr de développer encore plus l’activité ‘animal’, mais aussi de poursuivre sur tout le reste et faire en sorte qu’ITK reste une entreprise de l’intelligence artificielle appliquée à toute l’agriculture, explique Yann Lecointre d’Innoval. Sur son activité historique – les cultures pérennes et la vigne, la gestion des intrants et de l’irrigation –, nous pensons que les prestations d’ITK peuvent être encore mieux distribuées et nous apporterons des moyens commerciaux. Nous ambitionnons de doubler son chiffre d’affaires d’ici trois ou quatre ans. »
La prise de contrôle d’une entreprise par une autre reste toujours un moment délicat dans la vie des deux entités. Mais dans tous les cas de figure précités, l’objectif recherché est toujours le même : que le mariage soit intéressant pour les deux parties et qu’il constitue un avantage de facto face à la concurrence. « Le secteur fiduciaire est extrêmement compétitif, le besoin d’innovation y est poussé à l’extrême, souligne Thomas Savare, PDG d’Oberthur Fiduciaire. Nous devons innover pour garantir que nous ayons toujours une ou plusieurs longueurs d’avance sur les contrefacteurs. L’innovation est également nécessaire pour se démarquer de la concurrence et conserver la confiance des banques centrales et des milliards de personnes qui utilisent les billets de banque au quotidien ». La croissance d’une entreprise peut emprunter des chemins divers. Celui du rachat d’une société complémentaire et particulièrement innovante peut constituer un formidable levier pour y parvenir. Charge ensuite à tous les acteurs de l’entreprise de s’assurer de faire perdurer cet acquis !
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