Dans une petite ruelle à sens unique du quartier Beggen (Luxembourg), un étrange balai de véhicules s’active. Alignés en file indienne, motos et camions de livraison attendent patiemment devant une porte étroite. Tous les signaux sont au vert : il semblerait qu’il s’agisse d’un dark store. Magasins uniquement dédiés à l’acheminement de produits commandés sur internet, les darks stores poussent tels des champignons. Gorillas, Flink, Getir, … Pas un jour ne passe sans qu’une nouvelle enseigne de ce type ouvre ses portes. Pour les professionnels de l’immobilier, cependant, cette multiplication des dark stores n’est pas de bon augure. Ces derniers marqueraient-ils la fin de la vie de quartier ? Et que dire de l’impact sur le marché immobilier commercial ? Les experts s’interrogent.
La définition d’un dark store
Aussi appelés “magasins sans clients”, les dark stores sont des locaux à usage commercial d’un nouveau genre. À l’inverse d’une boutique classique, ils n’accueillent pas de clients. Impossible donc de les faire figurer parmi les “Établissements recevant du public” (ERP). Pour autant, à la différence d’un entrepôt, ils n’ont pas uniquement fonction à stocker des denrées, fussent-elles alimentaires. Un dark store est un espace dédié à la préparation et à l’expédition d’articles commandés en ligne. Ce sont ces structures qui sont à l’origine des livraisons express en 15 minutes ou en moins d’une heure. Travaillant de concert avec des e-shops, les dark stores sont des points relais dont l’unique fonction est de rapprocher les vendeurs et les acheteurs. Dernier-né de l’immobilier commercial, les dark stores ont profité d’une faille juridique pour s’implémenter au Luxembourg et dans toute l’Europe. Avant que les législateurs n’aient eu le temps de prendre conscience de la situation, ces magasins sans clients faisaient partie du quotidien des citoyens.
Les raison du succès des dark stores
Quand vous recevez votre dentifrice commandé sur Casino en huit minutes, avez-vous conscience de ce qui se trame derrière ? Probablement pas. Au quotidien, les dark stores sont quasiment invisibles. On ne les voit pas. On ne le connaît pas. Et en dehors d’un logo criard présent sur le survêtement d’un livreur, elles sont difficilement identifiables. Pourtant, ces entreprises n’ont jamais eu autant de succès. Et là, vous vous demandez sans doute pourquoi. La réponse tient en deux points : les demandes des consommateurs et l’absence de réglementation adaptée.
Une offre qui répond aux besoins des usagers
Lors d’une enquête menée par E-works, il est apparu que l’attente majeure des e-acheteurs était la livraison. Dans 72 % des cas, ces derniers jugeaient leur expérience utilisateur en se basant d’abord sur cet élément. De la même étude, il ressort que 66 % des acheteurs désirent se faire livrer à domicile. En résumé, l’Homme moderne veut que ses achats soient acheminés à son lieu de résidence le plus rapidement possible. Et ce, même s’il s’agit d’un rasoir à 2 € ou d’une pizza surgelée.
C’est une information qui n’est pas tombée dans les oreilles d’un sourd. Conscientes de cette réalité, les enseignes ont décidé de gagner des points en réduisant leur vitesse de livraison. Plus la distance entre les points de départ et d’arrivée est faible, moins il faudra de temps pour atteindre l’objectif. Sur le plan logistique, le moyen le plus simple de livrer rapidement est d’avoir les articles à quelques mètres des lieux de résidences des acheteurs. C’est de ce raisonnement de pensée que sont nés les darks stores.
Logés dans des locaux commerciaux classiques, les magasins sans clients ont un stock limité qui ne comprend que des articles demandés. Misant sur une rotation rapide des équipes, ils reçoivent et expédient des colis dans la zone environnante. Ici, les véhicules de livraison partent et repartent de façon continue. Les darks stores n’ont pas été créées dans l’objectif d’impulser une nouvelle dynamique à l’immobilier commercial du Luxembourg. C’est un phénomène issu des nouvelles habitudes de consommation. Aujourd’hui, l’acheteur n’a plus le temps d’attendre. Les dark stores lui assurent une livraison rapide à faible prix. Comment s’étonner de leur succès ?
Une faille juridique particulièrement profitable
Ce qui fait grincer des dents les professionnels de l’immobilier commercial, c’est le fait que les dark stores jouent sur plusieurs tableaux. Au moment de signer des baux, les tenanciers de ces établissements optent pour des contrats de type commerciaux. Rusés comme des renards, ils prennent soin d’indiquer que l’ouverture des lieux au public est envisageable mais non obligatoire. Et ensuite, ils s’installent en adoptant une configuration en tout point similaire à celle d’un entrepôt.
Parce que les surfaces occupées sont relativement petites (250 à 400 m2), les dark stores n’ont pas à se soumettre aux mêmes exigences que les espaces logistiques. Pourtant, dans les faits, leur activité y ressemble fortement. Pas de vitrines. Pas de façades. Pas de public. Et surtout, une activité qui génère un fort trafic routier dans la zone. Ouvertes de sept heures du matin jusqu’à minuit, les dark stores sont de mini-entrepôts qui génèrent autant de nuisances que leurs comparses XXL. Bruits de motorisation excessifs, stationnement sur les espaces réservés, infraction des règles de la route, … Avant même que les agents immobiliers du Luxembourg ne commencent à s’inquiéter, les populations grinçaient des dents. Dire que cette situation est uniquement possible à cause de textes de lois obsolètes.
Les dark stores sonnent-ils le glas des commerces traditionnels ?
Face aux darks stores, législateurs et experts en immobilier commercial s’interrogent. Quelles sont les possibles évolutions de ce modèle commercial unique ? Bien que ces magasins sans clients clament créer des emplois et contribuer au développement économique, le tableau est loin d’être uniquement positif. Aux yeux de la loi, les dark stores sont des commerces comme les autres. Pour autant, il suffit d’un rapide coup d’œil pour se rendre compte qu’ils sont avantagés par cette classification.
Prenons le cas d’une créatrice de bijoux. Artiste et commerçante, elle doit composer avec l’achat de matériaux, le recrutement de personnels qualifiés, le marketing, etc. Chaque jour, elle se réveille en outre avec la crainte de ne pas atteindre ses objectifs commerciaux. Les dark stores n’évoluent pas selon les mêmes règles de jeu. Du fait de leurs contrats avec des e-commerces, ils n’ont pas à constituer des stocks ni à faire de la publicité. Leurs seules dépenses sont la location de l’espace et, dans une moindre mesure, les frais de personnel.
À loyers équivalents, les avantages concurrentiels des dark stores sont écrasants. Forcément, ces dernières ont plus de budget à consacrer à la recherche d’espaces capables de leur ouvrir de nouvelles zones de chalandage. Ils peuvent surenchérir, faisant grimper les prix de l’ immobilier commercial. Et ce sont les commerces de quartier qui risquent d’en pâtir.
L’une des craintes majeures des observateurs, c’est que les dark stores transforment les villes en quartiers sans façades. En plus de porter un coup à l’esthétique globale et à l’économie de la cité, l’impact se fera ressentir sur les loyers. Attendez-vous à voir les prix des appartements dégringoler si la zone devient un désert alimentaire ou ressemble à un quartier industriel.
Est-ce à dire que les dark stores doivent être fermés ? Pas forcément. Actuellement, l’accent est mis sur l’encadrement de ces structures. Mais le système est récent et doit rapidement être structuré avant de devenir un monstre tentaculaire.