Le principe de l’excubation est simple : sortir un projet de l’entreprise où il est né pour maximiser ses chances de se concrétiser en se libérant des contraintes organisationnelles. Pour réussir, l’excubation doit s’accompagner d’un « filet de sécurité » afin que les collaborateurs qui portent le projet excubé bénéficient de conditions suffisamment rassurantes pour se consacrer pleinement à leur entreprise en devenir. Parfois considéré comme une démarche « Soft RH » pour faire de l’optimisation d’effectifs (en proposant des conditions de départ avantageuses à certains collaborateurs ayant des envies d’entrepreneuriat), l’excubation s’est progressivement révélée être une façon efficace de mener des projets à leur terme et de produire des entreprises viables. Les projets incubés en interne gardent en effet souvent des liens trop forts avec l’organisation pour pouvoir décoller suffisamment rapidement, c’est-à-dire à la vitesse des start-ups.
L’intrapreneuriat face à la frilosité des entreprises
Présenté comme alliant le meilleur des deux mondes (l’agilité d’une start-up avec les ressources d’un grand groupe), l’intrapreneuriat semble en réalité combiner le pire des deux mondes : la solitude de l’entrepreneur (les porteurs de projet doivent tout faire par eux-mêmes) avec, en sus, les contraintes des grands groupes (le besoin de résultat à court-terme, la lenteur des processus et les règles de fonctionnement).
Le problème n’est pas tant le concept d’intrapreneuriat en lui-même, qui représente une formidable opportunité d’innover, que la façon dont les entreprises l’organisent : sans anticiper suffisamment les frictions et les difficultés à surmonter. Car monter un programme d’intrapreneuriat, c’est accepter de donner (presque) carte blanche aux participants et les voir s’affranchir des règles collectives. Si les entreprises mettent désormais volontiers des moyens financiers conséquents pour soutenir l’intrapreneuriat, elles ne se donnent pour autant pas les moyens de faire aboutir les projets. Cela se comprend assez bien lorsque l’on met en perspective l’impact potentiel sur l’organisation. Laisser des salariés s’accommoder librement des règles au sein de l’entreprise comporte, il est vrai, une dose de risque qui pourrait entraver son bon fonctionnement. En cela, la réticence des entreprises est fort légitime. C’est là que l’excubation se présente comme une solution judicieuse, en créant des conditions de succès sans risquer de perturber le quotidien.
Un lien naturel entreprise-start-up excubée
Pour donner une chance aux projets nés de l’intrapreneuriat d’être viables ( c’est-à-dire de générer du chiffre d’affaires et donc un retour sur investissement ), il faut changer d’approche et accepter de couper le cordon ombilical entre l’entreprise initiatrice et son rejeton. Excubé, celui-ci va pouvoir se développer et devenir une vraie « intraprise ». Cela va, certes, à l’encontre de la tendance naturelle des entreprises au contrôle, mais elles récolteront, à terme, les fruits de cet acte de confiance. Un lien naturel va ainsi pouvoir se créer entre les collaborateurs excubés et leur entreprise d’origine, et celle-ci deviendra probablement sa première cliente, voire prendra des parts au capital de la start-up lorsque celle-ci commencera à développer son activité. Mais, pour qu’un tel lien existe, il doit avoir été précédemment affranchi de la relation de contrainte que l’on connaît, et qui tient pour une large part à l’échec des projets issus de l’intrapreneuriat.
Accepter une certaine perte de contrôle
Au lieu de se demander quel sera le retour sur investissement de l’excubation, il faut fonctionner à l’inverse et partir du postulat que l’intrapreneuriat, tel qu’il est fait aujourd’hui, ne génère que trop rarement du chiffre d’affaires. Les entreprises doivent accepter une perte de contrôle partielle voire totale, en externalisant les salariés désireux de se lancer dans l’aventure de la création d’intraprises. Des espaces externes existent déjà, capables d’accompagner les porteurs de projets. C’est là le seul moyen de voir décoller les projets et en retour, d’avoir des bénéfices futurs, sous la forme de partenariats ou de relations commerciales privilégiées.
Enfin, il est nécessaire de donner aux intrapreneurs toutes les chances de faire naître de vraies entreprises. Pour cela, il faut les doter d’un « filet de sécurité », avec un droit au retour au sein de l’entreprise dans des conditions clairement définies au préalable, ainsi qu’une rémunération tout au long de la phase de développement du projet afin de leur proposer des conditions alliant vraiment le meilleur des deux mondes.
Formidable dans son principe, l’intrapreneuriat reste trop souvent à l’état d’intention, et tient finalement plus de « l’innovation washing » que d’une réelle démarche de création de valeur. Pour sortir d’une posture de principe qui crée autant d’attentes que de déceptions, les entreprises doivent initier une démarche nouvelle, fondée sur la confiance et l’acceptation du risque, afin que leurs investissements donnent naissance à des entreprises innovantes et, pour-quoi pas, un jour à une licorne.