Du management traditionnel aux organisations adaptatives et centrées sur leur raison d’être

« L’Europe est une terre de conquête des géants numériques de la Silicon Valley et de leurs cousins asiatiques. » « Nous ne sommes pas de taille face à ces empires de l’innovation et de la finance aux milliards d’utilisateurs sur les cinq continents ! » Certes, mais souvenons-nous tout de même qu’aucun de ces « Etats » de la nouvelle économie ne nous inspirait de peur particulière il n’y a de cela que 15 ans, pour ceux, rares, qui existaient déjà… Or, les vagues d’innovation s’enchainent sans cesse, à un rythme toujours plus rapide, à l’image des crises qui secouent, sur une fréquence similaire, la planète boursière. Cela constitue à la fois une angoisse de mutation permanente et accélérée et une source immense d’opportunités et de progrès potentiel pour l’humanité. Et du point de vue de la disruption, expression qui a popularisé la vision schumpétérienne de destruction créatrice, nous sommes gâtés ! Pas un business model, pas un secteur économique ou associatif n’a été épargné par l’arrivée des « nouveaux barbares » du monde numérique.

Le management traditionnel, encore épargné par les vagues de disruption de la révolution internet

Un fondement de notre activité moderne n’a toutefois pas encore été remis en cause de manière significative : le management traditionnel et sa gouvernance hiérarchique hérités de Ford et Taylor.
Les modes de travail n’ont pas encore été disruptés, mais les ferments de leur transformation sont déjà là, dans le cœur et l’esprit de ses forces vives, dans les réussites éclatantes des acteurs de l’économie de l’innovation. Les actifs sont massivement désengagés vis-à-vis de leurs organisation (85% en moyenne mondiale selon Gallup) jusqu’à développer des relations toxiques (18%) avec elle. Dans le même temps, les sociétés de la tech biberonnées au scrum (mêlée en anglais) dans les années 90 puis au lean-startup dans les années 2010 ont largement sur-performées leurs pairs. Le scrum  a regroupé les développeurs en petites équipes pluridisciplinaires capables d’adapter leur travail en continu aux retours de clients par des « sprint » de développement sur des délais courts (quinze jours). Le lean-startup a repris ces éléments et ceux du lean pour permettre à des équipes techniques, marketing et design d’interagir avec les clients et d’amener sur le marché des produits utiles, aux interfaces utilisateurs éprouvées et à l’expérience d’usage incomparable. Le monde de l’algorithmie, du design et des startups – les plus capables de prendre des risques et de tester de façon darwinienne les combinaisons possibles d’innovation – se sont rencontrés pour changer les tâches de notre quotidien dans des proportions inconnues dans l’histoire de l’humanité. On se lève avec son smartphone, on pilote sa maison électroniquement, on se déplace de façon optimisée avec un navigateur multimodal, on interroge ses intelligences artificielles de façon croissante, on se divertit seul ou à plusieurs en un clic, on ne conduira prochainement plus et notre santé sera bientôt pilotée par ce qui rangera notre expérience actuelle au chapitre de celle des « hommes des cavernes de la data et de l’IA. »

Après scrum et lean startup, une agilité enfin systémique ?

Mais alors, quelle est la prochaine étape ? Comment passer du génie des équipes scrum ou lean-startup – dont les méthodes ont fini, après avoir été honnies, par arriver dans les meilleurs business school, y compris en France – à une approche systémique de l’entreprise ?
Nombreuses sont les philosophies, méthodologies et outils à avoir éclos depuis les années 70 jusqu’à aujourd’hui. Remarquons que dans leur diversité, elles s’appuient sur les mêmes fondamentaux. Tout d’abord, une raison d’être et des valeurs construites collectivement et aptes à fédérer les parties prenantes. Le gouvernement français n’a-t-il pas d’ailleurs intégré à sa récente loi PACTE le principe d’entreprise à mission sur la recommandation du rapport Nicole Notat & Jean-Dominique Senard ?
Ensuite, des principes de bon sens à l’heure des gilets jaunes, tels qu’une meilleure distribution de l’autorité. Tout simplement parce que comme le remarque Emile Servant-Schreiber dans ses recherches et son dernier livre
« super collectif », l’intelligence d’un collectif dont les membres travaillent ensemble est très supérieure à la somme des intelligences disjointes de ce collectif. Sa performance est par ailleurs corrélée à son taux de diversité en général et de femmes en particulier. Et qui dit distribution de l’autorité, dit par voie de conséquence plus de responsabilité et d’autonomie pour chacun dans l’entreprise. Jusqu’à ce que chacun devienne un « intrapreneur », ou son propre CEO ? Peut-être pas et en tout cas pas pour tout le monde, mais il semble être temps de s’attaquer à une bureaucratie et à un empilement de jobs sans sens, qui non seulement laminent le moral des derniers rameurs, les « doers », mais vient grever la performance des entreprises « legacy »[1] de façon mortelle, au premier sens du terme. Concernant les barreurs, Yves Morieux, associé du BCG s’exclame « il faut remettre les managers au travail ! »

Vers une révolution copernicienne, celle de la confiance et du lâcher-prise

Cette démarche d’autonomisation est impossible sans un certain niveau de lâcher-prise et donc de confiance, mais aussi de transparence. Comment confier des manettes de pilotage sans donner la carte d’état-major, le niveau du réservoir et le positionnement des autres acteurs ? On le voit bien, c’est d’une révolution copernicienne dont il s’agit ; une révolution résolument positive, optimiste et bienveillante. Un chemin qui doit permettre à chacun de développer ce qui est finalement le propre de l’homme, sa capacité d’enrichissement des liens sociaux et de développement d’une intelligence collective sans précédent. Quels que soient notre origine et notre âge, nous sommes curieux et avons soif d’apprendre. Et les nouvelles formes de gouvernance cherchent à aligner ces aspirations de la nature humaine, les besoins sociaux et environnementaux avec la mission de l’entreprise, le tout dans un contexte de performance économique et concurrentielle. Elles cherchent à substituer à la hiérarchie taylorienne une hiérarchie de cercles à taille humaine constitués de rôles que des talents viennent animer. Chaque individu peut ainsi s’exprimer sur une gamme à sa mesure, bien moins étriquée que la fameuse, et en sursis, « fiche de poste ». Le monde actuel, en mutation rapide et en proie à un nombre croissant de crises et de risques incite les organisations traditionnelles à « sur-processer », à vouloir, toujours plus, tout prévoir et tout maitriser. Mais cela est aujourd’hui devenu littéralement  illusoire. L’autonomie donnée à chaque cercle dans une hiérarchie beaucoup plus plate et une prise de décision par consentement sont en mesure de doter l’organisation d’une réactivité inédite. Une réactivité qui se mesure également par la fin des grands soirs organisationnels et des grandes réorganisations. Nous les connaissons presque tous : 18 mois en moyenne entre la décision de réorganisation et sa mise en œuvre, sans compter les coûts de conseil externes et internes, les angoisses, l’attentisme et pendant cette période une grande perte de productivité. Inutile d’ajouter que la dite réorganisation se trouve obsolète dès sa naissance. Autant que les anciens projets informatiques accouchés de cycles en V tunnels qui s’apercevaient, mais trop tard, que le besoin client avait été oublié ou avait changé dans la période.. Encore ici un héritage du lean et de l’itération à cycle court : la réorganisation est continue, imperceptible, affaire de tous et organique, de type biologique.

Vers un système d’exploitation des entreprises agiles ?

Ces entreprises de nouvelle génération, qui réengagent leur collectif avec force et font de leur mission une barrière à l’entrée robuste, sont pour beaucoup clientes d’une plateforme support des nouvelles formes de gouvernance par cercles et rôles : Holaspirit. Cette pépite française, basée à Paris et Montpellier, encore peu connue, réalise la quasi-totalité de son chiffre d’affaires hors de France et compte des clients dans pas moins de 30 pays sur tous les continents ! La preuve vivante du caractère universel de la lame de fond qui se lève. Holaspirit permet aux entreprises de décrire leurs cercles, leurs rôles et de travailler au quotidien sur la base de ce qui peut s’apparenter à un « système d’exploitation » de nouvelle génération. Contrairement à sa concurrente américaine Glassfrog centrée holacratie, la force de la plateforme européenne réside dans sa capacité unique à supporter toutes les méthodologies dont les principes ont été évoquées précédemment, à savoir, entre autres, sociocratie, holacratie, aequatie, GTD, cybernétique, approches systémiques ou dynamique spirale,..

Nous nous trouvons à un point d’inflexion de l’histoire des organisations et du management. Que ce soit du point de vue des aspirations sociales, de la vision institutionnelle ou des plateformes, la France dispose de tous les ingrédients pour réussir cette transformation et passer en tête sur l’innovation managériale, au moins aussi importante que l’innovation produit et service, féconde dans les esprits tricolores reconnus mondialement comme créatifs. Le challenge à court terme est celui du changement d’état d’esprit, de la capacité de managers et dirigeants éclairés à s’engager sur le chemin des organisations de nouvelle génération, celles avec lesquelles, sinon, le fossé risque de se creuser de façon irrémédiable.

[1] L’excès de management coûte 3 billions de dollars aux USA chaque année.