Roger Rocher (AS Saint-Etienne), le visionnaire bâtisseur

Série d’été “Les grands dirigeants du sport” 1/14

Nous inaugurons avec ce premier portrait de Roger Rocher, président du club mythique de football de l’AS Saint-Etienne (Association sportive de Saint-Etienne ou ASSE) de 1961 à 1982, notre série d’été “Les Grands dirigeants du sport” tirée du livre* du même nom publié sous la direction d’Emmanuel Bayle.

L’homme à la pipe. Crédit : anciensverts.com

Entrepreneur, après avoir été pendant 10 ans mineur de fond sur l’injonction de son père, Roger Rocher a su appliquer à l’ASSE les règles d’une entreprise. Ce “visionnaire bâtisseur” a été un des premiers à mettre en place de nouvelles recettes pour le club comme les droits de retransmission TV, le sponsoring ou encore le merchandising. Avec des résultats sportifs impressionnants : 10 titres de champion de France, six coupes de France, un quart, une demie et une finale de coupe d’Europe des clubs champions (perdue en 1976 contre le Bayern de Munich) et une renommée d’un club qui dépasse les frontières !

Mineur de fond, puis chef d’entreprise

Fils de Gaston Romulus, un maréchal des logis devenu chef d’entreprise (il exploite une carrière à Saint-Jean-Bonnefonds près de Saint-Etienne), Roger Rocher commence par être… mineur de fond. C’est ce que lui demande de faire son père lorsqu’il veut intégrer l’entreprise familiale en 1937. Du coup, Roger Rocher sera mineur de fond entre 16 et 26 ans avant de prendre en 1946 avec son frère Gérard la direction de la carrière paternelle qu’il rebaptisera Société forézienne de travaux publics. Un an plus tard il créé un modeste club corporatif de football, puis fonde en 1950 l’Olympique de Saint-Etienne, qui deviendra la pépinière des équipes du département et de l’ASSE en particulier.

Président d’un club professionnel français à 41 ans

Lorsque Roger Rocher est élu en avril 1961 président de l’ASSE, après avoir été coopté pour ce poste par le président de l’époque, Pierre Guichard (PDG de Casino), il devient le plus jeune président de club professionnel français et va restera en place pendant 21 ans jusqu’en 1982, un record !

Défilé sur les Champs Elysées Roger Rocher et Robert Herbin. Crédit : Ligue1

Très vite, Roger Rocher s’impose comme un précurseur sur les questions d’organisation, de management et de marketing. Il visite des clubs britanniques pour y puiser des modes de gestion et dira en 1968 à la suite d’une rencontre avec le président du club de Glasglow : “Nous sommes en train d’améliorer nos installations comme une grande usine”. De fait, Roger Rocher imagine la structuration du club comme une entreprise avec une répartition claire des tâches. Il instaure également un système de primes pour les joueurs.

Précurseur du sponsoring et du merchandising

Roger Rocher est aussi un des précurseurs du sponsoring et du merchandising. Il met en place en 1973 un contrat de sponsoring avec Manufrance qui stipule le port du sigle de l’entreprise sur le maillot du club en échange d’une somme de 500 000 francs. Ce contrat est innovant : il est révisable en fonction de l’inflation et du nombre de spectateurs aux matchs. Un coup de génie : la somme à payer est double et Manufrance, qui est alors en difficulté financière, se retire du contrat faute de pouvoir payer.

Rocheteau et le maillot Manufacture. Crédit : lesverts42

C’est également Roger Rocher qui obtient en 1975 la signature d’un contrat de 400 000 francs de l’époque avec TF1 pour la retransmission en direct de 4 rencontres. Pour gérer toutes les activités extra-sportives du club, une société à responsabilité limitée est créée en juillet 1976 : ASSE Promotion.

Logo ASSE. Crédit : asse.fr.

Cette entreprise gère l’image de marque du club avec la négociation des contrats publicitaires, les buvettes du stade, le “Bistrot des Verts” et elle édite la magazine ASSE Actualités. Cette entité s’occupe également du commerce de produits dérivés devenu florissant et le développe : maillots, livres, fanions, autocollants, gadgets, écharpes, insignes, porte-clés…

L’affaire de la “caisse noire”

Roger Rocher va néanmoins tomber de son piédestal lorsqu’il met en place une “caisse noire” après la défaite en 1976 en Coupe d’Europe face au Bayern de Munich. Cette caisse sert à payer les indemnités de transferts et les salaires de joueurs prestigieux comme Michel Platini en 1979. Le montant de la venue de Platini est officialisé à 128 millions d’anciens francs alors qu’en réalité il était quatre fois plus important. S’en suit une véritable fuite en avant vers l’illégalité. Elle sera sanctionnée par le départ de Roger Rocher de la présidence du club en février 1982 et son inculpation en novembre 1983 pour abus de biens sociaux. Il sera incarcéré quatre mois et bénéficiera par la suite en octobre 1991 d’une grâce présidentielle. Interrogé par les auteurs de l’article sur les raisons qui l’avaient poussé à créer cette “caisse noire”, il dira : “l’épopée, c’était trop beau, je voulais que ça continue, j’ai souhaité enrôler des vedettes telles que Platini pour aller vite”.

Platini chez les Verts.

Malgré cette affaire, concluent les auteurs de l’article, Roger Rocher reste dans la mémoire des “supporters verts” comme LE PRESIDENT : la notoriété et l’image de l’ASSE perdurent au delà de son mandat, de son décès en 1997 et des épopées européennes dont il a été un des principaux bâtisseurs.

*Pour lire l’ensemble du portrait de Roger Rocher : * Les grands dirigeants du sport – 23 portraits et stratégies de management. Sous la direction de Emmanuel Bayle. Editions De Boeck.
Les auteurs de ce portrait sont Pascal Charroin, maître de conférences STAPS à l’Université Jean Monnet Saint-Etienne et Nicolas Chanavat, maître de conférences à l’Université Paris-Sud.

Sophie Lhameen: Sophie Lhameen, journaliste multimédia (web et print), a travaillé pendant 15 ans comme journaliste spécialisée sur l'Afrique avant de devenir en 2008, rédactrice en chef adjointe du magazine Le MOCI (Moniteur du commerce international) jusqu'en janvier 2013. Ses centres d'intérêt : l'entreprise, le management, les ressources humaines, l'emploi, l'économie, l'intelligence économique et de l'international. Google+