Un prêt direct de la BCE aux États est interdit par les traités européens relatifs à la Banque centrale. Avec un euro numérique, l’idée serait de reprendre partiellement une pratique établie avant les années 70 en Europe.
Plus d’un demi-siècle de laisser aller pour la dette française
Depuis les années 1970 la dette de la France se dégrade. Elle s’est aggravée avec la crise de 2008. Elle atteint un record avec la pandémie. La dette publique française a dépassé 100 milliards d’euros en 1981, 500 milliards en 1993, 1 000 milliards d’euros en 2003 puis 2 000 milliards en 2014. Cette dette est passée de 15 % du PIB en 1974 à 114,9 % du PIB au second trimestre 2021, avec un déficit systématique. Il faut noter qu’entre 1959 et 1974, la France n’a connu que trois années de déficits publics qui n’ont jamais dépassé 1,4 % du PIB.
“Des trente glorieuses” on a retenu une expansion économique sans précédent du lendemain de la Seconde Guerre mondiale jusqu’au choc pétrolier de 1973. Peu de gens se rappellent l’inflation des années 70 et la chute des taux de croissance. À l’époque, peu d’économistes comprennent que ces indices annoncent l’entrée de la France dans une longue crise économique. Aujourd’hui après la pandémie, avec les pénuries, une liquidité illimitée et excédentaire, une inflation élevée et persistante va-t-elle s’installer comme en 1970 ? Est-il possible de revenir à une dette publique à 15 % du PIB sans déficit et avec une inflation inférieure à 2 % ?
De “l’économie monétaire des trente glorieuses” à “l’économie d’endettement“
“En 1974, on a eu une loi stupéfiante […]. On a obligé l’État à aller se financer sur le marché financier privé à 4 % ou 5 %, et, du coup, notre dette est maintenant à 90 % du produit national brut.” Michel Rocard, Europe 1, 22 décembre 2012. En réalité la loi de 3 janvier 1973, relative au statut de la Banque de France, n’annonce pas l’émancipation de cette Banque du pouvoir politique mais fixe le début d’une “économie de marchés financiers” où la Bourse joue un rôle prédominant. C’est la loi du 4 août 1993 qui fera le basculement. La Banque de France obtient une liberté totale et ne doit plus répondre aux sollicitations du gouvernement. Cette loi sera votée dans le cadre de la transposition du traité de Maastricht dans la loi française. Mais voilà, les architectes de l’euro n’ont pas pensé à l’avenir car ils ne disposent plus du filet de secours de leur Banque centrale. Mais la Banque centrale européenne BCE créée en 1998 a trouvé une échappatoire avec les programmes de rachats de dette souveraine. Si la BCE ne peut pas financer directement les dettes publiques des États membres de la zone euro, alors elle peut les financer indirectement : avec le SMP, PSPP et le dernier baptisé Programme d’achats d’urgence pandémique PEPP, la BCE rachète sur le marché secondaire les obligations souveraines des États de la zone euro.
Pourquoi les banques centrales ne financent pas directement les états ?
Le principal argument de l’époque pour rendre la Banque de France indépendante de l’État fut les phénomènes d’hyperinflation qui ont été très douloureux pour la population. L’inflation élevée était devenue le principal obstacle économique. La seule solution consistait à éviter le gonflement de la masse monétaire et à axer la politique de la Banque de France uniquement sur la maîtrise des prix. Cette tâche sera assurée plus facilement par une Banque centrale indépendante. Avec le traité de Maastricht la BCE obtient un mandat principal : “maintenir la stabilité des prix” interprété par la BCE comme maîtriser l’inflation proche de, mais inférieure à 2 %. La BCE change son objectif après 18 ans et porte la cible de l’inflation à 2 %. Il est très probable qu’en 2021 ce mandat ne puisse plus être assuré.
Imaginons le fonctionnement de la Banque centrale.
Dans les années 70, la Banque de France prête directement à la France. Elle crée de la monnaie. Il y a gonflement de la masse monétaire et création de liquidité qui devient excédentaire. Cette liquidité excédentaire finit par créer de l’inflation. Depuis 2008, avec les programmes de rachat des dettes souveraines via le marché secondaire, il n’y a pas d’envolée de l’inflation. La BCE emprunte au secteur financier, l’argent ne fait que transiter par la Banque centrale aussi il n’y a pas de création monétaire. Explication du lien entre monnaie et inflation depuis 2008 : “Suite à la crise financière de 2007-2008, les grandes banques centrales, …, ont adopté des mesures de politique monétaire non conventionnelles (achats d’actifs, injections de liquidités, guidage des taux d’intérêt, etc.) dans le but d’éloigner les risques de déflation. Ces politiques ont parfois fait l’objet de critiques accusant les Banques centrales d’augmenter significativement la taille de leurs bilans et donc de la masse monétaire, préparant ainsi, dans le futur, une forte hausse du niveau des prix… Toutefois, depuis la mise en place de ces politiques, il n’y a pas eu d’envolée de l’inflation…”.
Supposons que la BCE prête aux États directement sans créer de la monnaie ? Dans ce cas la BCE n’a d’autre choix que de convaincre les épargnants de lui confier leurs économies. C’est ce que l’euro numérique peut amener. Il est envisagé que chaque européen puisse déposer directement cette monnaie auprès de la Banque centrale dont l’accès est jusqu’ici réservé aux banques commerciales. Pour garder une masse monétaire stable, éviter la fuite des épargnants vers cette monnaie électronique, la BCE prévoit de limiter le nombre d’euros numériques que chacun pourrait placer chez elle. Avec l’euro numérique, il suffit que la BCE accepte une fraction des épargnes des ménages en euro numérique sur leurs comptes à la BCE et son passif va automatiquement augmenter. Ce passif pourra compenser de nouvelles dettes publiques qu’elle détiendrait à son actif. L’épargne des ménages européens financerait alors partiellement et directement l’endettement des États.
De “l’économie de l’endettement ” à “l’économie écosociale“
En 2008 face à la crise financière, la BCE a procédé à une injection massive de liquidité. Elle a abaissé son taux directeur à zéro et elle a acheté des titres obligataires souverains et privés. En 2021, l’inflation grimpe, la croissance se tasse. Elle doit négocier la sortie des politiques monétaires ultra-accommodantes mises en place pendant la pandémie. Les politiques d’austérité semblent tragiquement inévitables car la BCE arrive à ses limites. L’épargne des ménages européens devient un levier majeur dans le soutient aux relances et à la réduction de l’endettement des États de la zone euro.