Danone, les leçons d’une crise. Le 14 mars dernier, le conseil d’administration a décidé le départ d’Emmanuel Faber de la présidence du groupe Danone, quelques semaines seulement après que celui-ci ait du renoncer aux fonctions de directeur général. Depuis qu’il a été annoncé, le limogeage de ce dirigeant emblématique suscite beaucoup de réactions. Si nombre d’intervenants se contentent de stigmatiser l’influence des actionnaires, il y a évidemment des explications plus sérieuses et des leçons plus importantes à tirer de cette crise de gouvernance.
Danone, les leçons d’une crise : des actionnaires méchants contre un patron gentil : le faux débat
Depuis plusieurs mois, la presse a révélé les mécontentements d’une partie de l’actionnariat et de ses représentants au conseil d’administration. Il est ainsi connu que les fonds d’investissement Artisan Partners et Bluebell Capital Partners pointaient, depuis longtemps, la dégradation des résultats de Danone, la baisse du cours de l’action et une rentabilité moindre que ce qui était mesuré dans d’autres grandes multinationales de l’industrie agroalimentaire. La médiatisation a inévitablement contribué à la virulence des premières réactions à l’annonce du départ d’Emmanuel Faber. Ces réactions ont stigmatisé l’attitude des actionnaires en créant une dichotomie entre des investisseurs et un grand patron, entre la sphère financière et l’économie réelle, entre la recherche du profit et l’idéalisme sociétal, entre le vice et la vertu.
Une pareille dichotomie confine à la caricature. Professeur à l’E.M. Lyon, Philippe Silberzahn refuse de faire porter aux fonds activistes la responsabilité de la décision du conseil d’administration en affirmant : « ces fonds sont présents depuis longtemps dans l’entreprise, et ils ne représentent que 3 % du capital : assez pour avoir de l’influence, pas assez pour faire la pluie et le beau temps. Si les autres actionnaires n’avaient pas été d’accord avec eux, ils n’auraient rien pu faire ». Les véritables raisons du départ d’Emmanuel Faber seraient donc à rechercher ailleurs que dans des interprétations hâtives sur l’influence prétendument néfaste qu’auraient certains administrateurs.
Impulser le changement sans crisper les équipes
Danone a progressivement structuré ses activités en trois ensembles appelés Produits laitiers et d’origine végétale, Eaux et Nutrition spécialisée. Chacun de ces ensembles a été habitué à définir et à conduire sa stratégie de façon très autonome. Un niveau d’autonomie contre lequel Emmanuel Faber n’a cessé de se battre, ce qui n’a pas manqué de provoquer des tensions et des incompréhensions. Au-delà des performances boursières, les critiques des actionnaires ont donc exprimé des inquiétudes avérées sur la façon dont la politique générale était perçue par les salariés et, en particulier, par l’encadrement. Philippe Silberzahn affirme que « la gestion d’Emmanuel Faber était contestée en interne depuis longtemps ». Pierre-Yves Gomez reconnaît que ce patron avait d’autant plus de mal à se faire respecter que ses décisions bousculaient les habitudes et que, parmi les trois ensembles, « les métiers traditionnels Produits laitiers et Eaux sont des baronnies anciennes et fortes ». L’économiste ajoute que, sur beaucoup de sujets, il est plus facile de « convaincre les actionnaires que les managers de l’entreprise et notamment les patrons des activités ».
Les caractéristiques organisationnelles et culturelles de Danone montrent toute la difficulté qu’il y a à conduire le changement, mais la présidence d’un tel groupe est d’autant plus difficile que les marges de manœuvre budgétaires se réduisent. Pour éviter une baisse du cours de l’action, les investisseurs exigent une hausse continue de la profitabilité alors que les marchés sont matures. Pierre-Yves Gomez souligne ainsi que les marques du groupe « évoluent sur des marchés de grande consommation dont la croissance est faible et la rentabilité déclinante ». Face à cette situation, il n’existe pas de grande solution miracle mais, plus probablement, une multitude de petites solutions. Philippe Silberzahn estime ainsi que les entreprises se doivent de ne plus opposer les préoccupations du court terme et celles du long terme en encourageant l’innovation à tous les niveaux. Il considère que « la clé du long terme est une action de court terme qui s’agrège au cours du temps » et que l’avenir d’un groupe comme Danone se construit moins par de grandes intentions que par l’accumulation de « petites victoires ».
Ne pas renoncer à l’entreprise à mission
Promulguée le 22 mai 2019, la loi P.A.C.T.E. comprend des dispositions très diverses, qui réforment partiellement le Code civil, le Code de commerce, le Code monétaire et financier, le Code de la Sécurité sociale et le Code du travail. Cette loi vise notamment à faire évoluer les obligations de certification légale des comptes, à alléger les formalités applicables en cas de fusion ou de scission de sociétés, à faciliter la création d’entreprise et à favoriser l’actionnariat des salariés. Elle introduit aussi dans le droit français le statut d’entreprise à mission.
Une entreprise à mission est une société qui intègre des ambitions sociétales et environnementales à sa stratégie. Cette démarche oblige à mobiliser des moyens, à engager des actions, à faire suivre la réalisation de ces actions par un comité de mission et par un auditeur. Danone est devenue une entreprise à mission en juin 2020, à l’issue d’un vote de l’assemblée générale des actionnaires. Ce vote n’a rien d’aberrant, le groupe ayant des préoccupations sociales et environnementales depuis déjà plusieurs décennies. Fondatrice du cabinet Utopies, Élisabeth Laville explique cependant que le fait de devenir une entreprise à mission n’a de sens que si cela fait l’objet d’un consensus. Elle avertit ainsi que « si vous exposez votre entreprise sur votre engagement sociétal, il est capital d’être aussi très clair sur la façon dont ce changement de cap va générer de la création de valeur ».
L’éviction d’Emmanuel Faber va forcément susciter une profonde méfiance parmi les grands patrons français, qui vont désormais percevoir avec réticence le statut d’entreprise à mission. Il est pourtant urgent de travailler à réconcilier à la fois l’économie et la société, la création de richesses et les politiques de redistribution, l’accumulation des profits et la création d’emploi, la défense des intérêts industriels et la protection de l’environnement.
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