Dirigeants, comment mettre en mouvement vos équipes lorsque le réflexe est le déni de la réalité

Plus rien ne sera comme avant. C’est du moins la conviction d’un grand nombre de dirigeants que je rencontre et que j’accompagne. Et pour cause, la crise sanitaire est venue jeter une lumière crue sur l’inadéquation de nombreuses organisations avec leur environnement. Lucides, beaucoup perçoivent l’urgence de bâtir une organisation à même de faire face aux crises qui se succèdent, à une complexité ambiante qui ne tolère plus les modèles figés par le temps, devenus obsolètes.

L’organisation à l’ère de l’évolution

Pourtant, malgré cette lucidité essentielle, beaucoup se heurtent à l’incrédulité et aux conservatismes qui traversent leurs équipes. Dans nombre d’entreprises, les collaborateurs, managers inclus, semblent persuadés que l’après COVID-19 est synonyme d’un retour à la situation antérieure, d’un retour au statu quo. Le déni de réalité est profondément ancré. L’importance pour ces dirigeants d’insister sur l’impossibilité d’un retour en arrière, la nécessité d’une prise de conscience en faveur d’une organisation capable de répondre à la complexité par la complexité, au chaos par une organisation constitutionnelle et des outils adaptés.

Et face au COVID-19 et à la problématique du confinement, de nombreuses entreprises ont revu leur organisation mais aussi leur façon d’appréhender leurs modes de commercialisation, d’interaction avec les clients, entre collaborateurs et équipes, etc. Une démarche qui a conduit beaucoup d’entre elles à accélérer fortement leur digitalisation et, par conséquent, à redessiner les fondements et les contours de leur organisation. Une rupture, une accélération qui a pour conséquence de dévoiler le futur mais aussi de créer peurs et réticences chez beaucoup. Certains dirigeants que j’accompagne, s’essoufflent, et cherchent des idées pour faire avancer ces grands changements internes. Dans ce contexte, il est donc utile d’insister sur quatre éléments qui doivent permettre aux dirigeants qui portent cette évolution, de mettre en mouvement l’ensemble des forces vives de l’entreprise. Parce que le monde d’aujourd’hui n’est plus celui de février 2020 !

« On ne savait pas que c’était possible
alors on l’a fait ! »

Premier moteur pour amener l’organisation dans le monde de l’évolution, premier vecteur pour conduire avec succès la réinvention de celle-ci : être convaincu que rien dans cette quête n’est impossible. Et pour cause, d’autres l’ont déjà fait sans même attendre la crise sanitaire. C’est le cas de cette entreprise nantaise que j’accompagne et qui a intégralement transmuté son modèle vers le digital. Ici tout se fait en ligne. Que l’on parle du commercial, de l’installation ou de la formation aux logiciels que vend l’entreprise. Soit, pour ceux qui se lancent, le chemin reste semé d’embûches mais l’enjeu n’est autre que la survie de l’entreprise.

Mettre en mouvement les collaborateurs

Il faut l’avouer. Pour réussir à mettre en mouvement ses équipes, il convient, au préalable, de dépasser les peurs. Face au changement et, a fortiori, face à une rupture comme celle que nous connaissons, la plupart des gens restent comme anesthésiés, tétanisés par la perspective de tout changement radical, ce changement de type 2 décrit par Watzlawitch dans son livre « Changements, Paradoxes et Psychothérapie[i] ». Un changement qui implique une rupture, une forme de radicalité, contrairement au changement de type 1 dit incrémental cher aux tenants de l’organisation conventionnelle. En effet, pour beaucoup, le changement est synonyme de peurs, indissociable de la crise, de l’incertain. Ils préfèrent se bercer de l’idée que tout va redevenir comme avant, que la situation « normale » est l’équilibre plutôt que la crise.

Dans ces conditions, le dirigeant doit être en mesure de gérer, de créer une situation propice au dialogue, à la confiance et donc au changement. Pour ce faire, il est invité à créer des espaces d’écoute et des moments de partage pour que chacun puisse exprimer ses ressentis et se sentir entendu en toute sécurité. L’objectif est de le faire sortir de sa posture de victime et lui faire endosser celle du changement. Pour y parvenir, trois étapes essentielles : créer cet espace sécurisé pour accueillir et transformer ce matériau précieux que constituent les ressentis ; tirer collectivement des enseignements à partir de l’analyse des forces et des faiblesses pour aller chercher l’énergie en profondeur ; passer à l’action, mettre chacun et tous en  mouvement et en situation de réussite.

Agir court et voir loin

Si pour beaucoup court et long terme doivent être dissociés, distingués dans l’organisation, la réalité est, au contraire, que les deux vont de pair. Réinventer son organisation pour que celle-ci soit en capacité de répondre à un environnement en perpétuel changement, d’une complexité croissante, c’est savoir faire émerger des perspectives, des axes de réflexions plus profonds et à moyen/long terme tout en faisant émerger des actions immédiates, droit au but.. C’est conjuguer la vision avec le « business » au quotidien. Ainsi, pour ces entreprises que la crise sanitaire a poussé à revoir leur modèle notamment via une digitalisation de leurs processus et de leurs modèles économique tambour battant, celles-ci ont dû opérer sans interrompre le flux qui irrigue et donne vie à l’entreprise et son organisation.

Un patron qui partage sa vision

Qui mieux que le patron, le dirigeant pour incarner et partager la vision de l’entreprise et de l’organisation dont il est porteur ? Bien souvent, il est en effet cette personne « source » dont nous parle Peter Koenig avec ses principes source. Il est celui – souvent le seul – qui capte la vision, en a pleinement conscience. Il est celui par qui vient le changement, il en est la source. D’où la nécessité, l’importance du partage avec les collaborateurs, du partage de la vision.

Dans le cas de la digitalisation de l’entreprise, il est l’instigateur, celui qui porte et communique auprès des équipes, celui qui, par son autorité naturelle, convainc les autres que le travail est énorme mais possible et nécessaire, que la valeur délivrée est, au final, supérieure à la valeur antérieure. Quitte à repartir d’une page blanche, à l’ère de l’évolution, les choses considérées comme impossibles deviennent non seulement possibles mais réalité.
Par Bernard Marie Chiquet, fondateur de l’institut iGi et créateur du management constitutionnel
[i] https://www.amazon.fr/Changements-Paradoxes-psychothérapie-Paul-Watzlawick/dp/2757841890

 

Bernard Marie Chiquet, Fondateur de l’institut iGi, professeur, Master Coach en Holacracy, et créateur du management constitutionnel: Fondateur de l’institut iGi, crée en 2007, il est formateur et consultant en organisations, spécialisé sur l’évolution des modes de gouvernance. Coach en « Holacracy », et créateur du management constitutionnel*, il accompagne les entreprises à travers leur changement systémique. Plusieurs fois entrepreneur et dirigeant de grandes entreprises, il a été directeur exécutif de Capgemini, associé chez EY et président-fondateur d’Eurexpert. *Management constitutionnel : système managérial dans lequel ceux qui en ont le pouvoir, le plus souvent les dirigeants, adoptent une constitution pour l’organisation.