La crise du Covid aura au moins eu le mérite de jouer son rôle de révélateur sur l’état de santé du marché du travail. Tandis qu’un salarié sur deux réfléchirait aujourd’hui à changer de travail, dans le sillage du phénomène de « grande démission » observé depuis 2 ans aux Etats-Unis, les récentes crispations annoncées par le retour au présentiel révèlent elles aussi une distension du lien entre l’entreprise et ses effectifs. A tel point que selon plusieurs études réalisées ces derniers mois, plus de la moitié des salariés français seraient prêts à quitter leur emploi si un retour en présentiel à 100% s’imposait comme la norme.
Tout cela s’inscrit sur fond de tension exacerbée, dans un marché de l’emploi qui a vu le rapport de force s’inverser en faveur des (rares) candidats à se manifester auprès des (très nombreux) employeurs en quête de nouveaux talents. Dans ce contexte, les entreprises qui tirent leur épingle du jeu sont celles qui continuent de s’assumer pleinement comme le corps social indissociable des équipes qui le composent. Ce sont des entreprises où « l’humain » n’est pas qu’une « ressource », où la responsabilité est collective, et où l’attachement mutuel est le résultat d’attentions quotidiennes. En somme, là où le vivre ensemble n’est pas négociable.
Pourquoi l’entreprise doit-elle créer les conditions d’un attachement durable de ses équipes ?
Passées les nuits blanches qu’il peut provoquer chez les recruteurs, cet état des lieux fait figure d’électrochoc : il met en lumière la distension du lien qui se produit entre l’entreprise et ses équipes, dès lors que ces dernières ne se perçoivent plus comme l’élément central du projet. Face à l’urgence qui s’impose, il n’est plus l’heure de s’interroger sur la responsabilité de cet éloignement, mais plutôt de comprendre comment, en 2022, une entreprise est en mesure de créer les conditions d’un attachement durable de ses équipes dans toutes ses dimensions. Cet amalgame constitue bien souvent à la fois le moteur et le sens de toute aventure entrepreneuriale : il conditionne la capacité de l’entreprise à traverser le temps, à subir la conjoncture, à encaisser les coups, à se relever, à se réinventer et, finalement, à grandir.
Car oui, sur la durée, toutes les entreprises, quelles qu’elles soient (licorne en quête de légende ou PME forte de son histoire), vont vivre plusieurs séismes et faire face à des crises financières, commerciales et/ou humaines. L’issue de ces défis ne dépend pas seulement de l’équipe dirigeante, mais probablement plus encore de la volonté des femmes et des hommes engagés quotidiennement à ses côtés d’accompagner, voire de proposer les mutations nécessaires.
Cette conviction sur la place non négociable du collectif dans un tel projet explique notamment mes craintes à l’idée de dérouler le tapis rouge sans restriction au télétravail. La bataille de la qualité de vie au travail se gagne au sein de l’entreprise, pas en dehors d’elle. Aussi, au lieu de tout miser sur le télétravail, n’est-il pas temps plutôt de réenchanter l’entreprise ? Car le sens d’un métier se nourrit en partie de l’environnement humain et de la vie collective dans lequel il s’exerce. C’est bien ce qui a pu échapper à certains dirigeants et salariés qui avaient envisagé le tout télétravail (imposé par la crise sanitaire et les vagues de confinement) comme un eldorado : les premiers y voyant un moyen de réduire les coûts de fonctionnement, les seconds imaginant un confort idéal dans l’équilibre pro/perso.
Une expérience qui se solde par le constat fracassant d’une rupture manifeste entre l’entreprise et ses salariés. D’où l’enjeu d’aborder la question du télétravail avec nuance, en associant les équipes et en considérant les impératifs de leur mission, en dehors de tout débat binaire (pour ou contre), qui ne rend pas service à l’intelligence collective.
En 2022, ne plus considérer « l’humain » comme une
« ressource »
Face à l’inconfort des deux années écoulées, ré-enchanter l’entreprise reste une priorité que n’ont jamais reniée la plupart de TPE/PME de notre pays. Toutes ont en commun de ne pas se contenter de livrer au collaborateur un package en contrepartie de la réalisation d’une mission (salaires, primes.. etc.) : leur aventure (et leur réussite) entrepreneuriale s’inscrit dans l’attachement mutuel qu’elles construisent avec les femmes et les hommes qui leur font confiance. Elles mettent beaucoup d’énergie
à fédérer, à responsabiliser, et à mettre le collectif au coeur du projet. Je ne peux que partager le point de vue de Cédric Pardon, un jeune dirigeant à la tête d’une entreprise à Annecy, qui nous confiait récemment qu’à ses yeux « le premier client, c’est le collaborateur. Quand on lui donne les moyens de réussir, il fait à son tour réussir les clients et le projet de l’entreprise. » Il donne corps à sa vision à travers de nombreuses initiatives prises pour entretenir l’âme de ce collectif (politique de formation, temps collectifs extra-pro, etc.). Bien souvent, chez les dirigeants visionnaires et conscients de la richesse de leur équipe, la notion de « ressources humaines » ne fait pas partie du langage pour les qualifier : non pas par dénigrement pour l’expertise du même nom essentielle à la vie de l’entreprise, mais car la dénomination est à leurs yeux beaucoup trop réductrice pour qualifier la véritable nature humaine de l’entreprise.
Au même titre que, politiquement, l’écologie n’est pas réservée à un mouvement, la nature humaine d’une entreprise ne peut être de la seule responsabilité d’un service. Il devient même archaïque de supposer que l’on règle la question de l’humain comme on gère l’approvisionnement de n’importe quelle autre ressource de l’entreprise. Management, animations collectives, responsabilisation des équipes…
En 2022, une entreprise doit respirer l’humain à tous les étages, pour continuer à inspirer celles et ceux qui en font l’âme, et attirer celles et ceux qui en seront l’avenir