Ancien PDG du groupe Saint-Gobain (1986-2007), puis président de son conseil d’administration (2008-2010), et auteur du livre “La France doit agir” publié en octobre 2013, Jean-Louis Beffa a exprimé, à l’occasion des 7èmes Rencontres de la mobilité internationale qui se tenaient hier à Paris, quelques principes de bonne gouvernance qu’il a appliqués pour diriger son groupe de matériaux de construction “intelligents”. Nous en avons retenu 8 principaux, valables pour tous les PDG, que nous vous présentons ci-dessus. La tâche essentielle d’un PDG n’est pas de faire de la gestion (il faut savoir déléguer), souligne Jean-Louis Beffa, mais bien d’adapter son groupe, avant les autres, aux changements de la planète. Explications.
1 – Rester dans les métiers où vous êtes leader mondial
C’est la stratégie appliquée par Jean-Louis Beffa depuis ses débuts à la tête de Saint-Gobain : il faut rester dans les métiers où le groupe est numéro 1 ou 2 mondial. Il faut s’en tenir à ce principe malgré les difficultés rencontrées et le mettre en oeuvre tout au long de sa carrière de PDG. Pour respecter ce principe, Beffa a vendu, durant la période où il dirigeait Saint-Gobain, 900 sociétés, mais il en a racheté également 1200.
2 – Avoir un certain degré de diversification
Il faut éviter impérativement d’être “mono-métiers”même si les financiers sont contre cette politique car il y a des pénalités en bourse appliquées aux groupes considérés comme des conglomérats. D’où la nécessité d’avoir un groupe cohérent, mais avec un certain degré de diversification. En contre-exemple de ce qu’il ne faut pas faire, Beffa cite la CGE (Compagnie générale d’électricité) qui a été démantelée par bouts avec notamment Alstom, ce qui a enlevé toute taille critique pour peser face à d’autres géants du secteur.
3 – L’international à fond
C’est un principe essentiel qui a été appliqué par Beffa : aller à l’international. Résultat : Saint-Gobain est désormais présent dans 64 pays contre seulement 18 à son arrivée dans le groupe. Tous les cadres de Saint-Gobain doivent être passés par le “chaudron international” (un poste difficile à l’étranger) où ils doivent faire leurs preuves avant d’être promus à des postes de direction. Pour Beffa, le choix d’un pays pour s’implanter doit se faire à l’aune de son histoire (un de ses livres de chevet est Grammaire des civilisations de Fernand Braudel). C’est pourquoi il a choisi après la chute du mur de Berlin d’aller en Tchéquie ou en Pologne qui font partie de “l’évêché de Rome” (avec un sous-bassement catholique proche de la France).
4 – Ne pas être dépendant de politiques
Le monde du politique est sur le court terme, ce qui n’est pas le cas des entreprises qui sont centrées sur le long terme. Les deux mondes ont du mal à se comprendre : mieux vaut donc choisir des secteurs d’activités du groupe pour lesquels il n’y a pas besoin d’aller voir des ministres. L’Etat doit jouer un rôle de stratège pour aider les grands groupes à mieux vendre à l’international mais il doit rester minoritaire dans le capital.
5 – Privilégier la promotion interne
Comme le dit Jean-Louis Beffa, j’ai été “chasseur de tête interne du groupe” en suivant personnellement la carrière de 200 cadres pour les faire évoluer. Le tiers de mon temps était consacré à parler d’hommes, avec l’idée de privilégier la promotion interne, explique t-il. Avec également une méthode pour éviter les baronnies au sein d’un groupe : nommer systématiquement à la tête d’un secteur quelqu’un qui ne le connaît pas.
6 – Des salariés actionnaires
Aujourd’hui le personnel de Saint-Gobain contrôle 8% du capital, ce qui est un chiffre important. “Il est essentiel de laisser la parole aux salariés qui, lorsqu’ils deviennent administrateurs, changent de comportement avec des interventions de qualité et très matures, souligne Beffa. J’ai eu également l’occasion de constater cela à GDF-Suez dont je suis administrateur”, ajoute t-il en insistant sur l’importance du dialogue social qu’il a pratiqué à Saint-Gobain sur le modèle de ce qui se fait en Allemagne.
7 – Innover
“Il est essentiel d’innover et pour cela nous avons mis en place à Saint-Gobain des équipes uniquement tournées vers des startups innovantes, car ce sont elles qui vont être capables d’inventer de nouveaux produits et/ou procédés, déclare Beffa. Près de 400 startups ont été sélectionnées dans le monde entier par nos équipes et nous avons passé des accords avec 25 d’entre elles”. Pour l’ex-PDG, la R&D doit être ouverte vers l’extérieur : d’où l’importance de multiplier les contacts avec les universités chinoises, indiennes, etc.
8 – S’adapter au numérique
C’est le défi du futur : toute entreprise qui ne saura pas le faire disparaîtra. Pour Saint-Gobain, le numérique va surtout impacter la distribution du groupe, qui a des enseignes comme Point P, La Plateforme du bâtiment ou Lapeyre. Il s’agit d’un véritable challenge car beaucoup de collaborateurs âgés de plus de 40 ans n’ont pas de réelle culture numérique. Pour y arriver, Beffa préconise une méthode choc : constituer un “commando” de jeunes aguerris au numérique au sein du groupe pour faire bouger les choses.