Président de la fédération Ingénieurs et scientifiques de France (IESF), qui rassemble quelque 850 000 ingénieurs et scientifiques à travers notamment 180 associations d’anciens élèves, Julien Roitman nous parle dans cette interview exclusive du métier d’ingénieur et de sa volonté de le rendre plus visible et plus influent auprès des pouvoirs publics. Il s’exprime également sur la Journée nationale de l’ingénieur organisée pour la 2ème année par IESF, qui se tiendra le 3 avril prochain dans 28 villes françaises, dont à Paris à la Cité des Sciences et de l’Industrie avec pour « guest star » Xavier Fontanet, président d’honneur d’Essilor. Celui-ci donnera une leçon inaugurale retransmise en direct sur internet www.iesf-jni.org sur le thème : « Devenez stratège en 3 heures ».
Qu’est-ce que le métier d’ingénieur ?
Je répondrai d’une manière simple : c’est celui qui fait que ça marche. Cela recouvre trois aspects : créer et imaginer pour répondre à un besoin, mettre en œuvre la solution et enfin conduire une équipe pour mener à bien le projet, une véritable culture de résultat. Je voudrais tordre le cou à une idée reçue : la majorité des ingénieurs travaille dans l’industrie et non dans la finance : seulement 4% d’entre eux ont choisi ce dernier secteur.
Le métier d’ingénieur qui avait une image poussiéreuse et rencontrait une certaine méfiance du grand public pour les technologies est revenu sous les projecteurs : il est un des seuls à avoir un taux de chômage aussi bas (seulement 4% !) et son niveau de salaire est au dessus de la moyenne. Et le gisement d’emploi que constitue ce métier est loin d’être tari : nous formons environ 35 000 ingénieurs par an et on estime le potentiel annuel supplémentaire de 10 à 15 000 ingénieurs, particulièrement pour satisfaire les besoins dans les PME.
Pourquoi lancer une Journée nationale de l’ingénieur ?
C’est la deuxième édition de cette manifestation qui a trois objectifs : valoriser l’image du métier (on doit continuer à susciter des vocations), développer le sentiment d’appartenance à un corps professionnel, et pousser les ingénieurs à devenir entrepreneurs. Sur le deuxième point, nous voulons arriver à ce que l’ingénieur ne se définisse plus seulement par son école, mais aussi par son métier. Nous souhaitons ainsi peser également sur les décisions politiques qui ont souvent des éléments scientifiques ou techniques. Or ce n’est pas le cas aujourd’hui. Au gouvernement il n’y a actuellement aucun ingénieur ! C’est pourquoi nous allons créer une structure de la profession qui soit reconnue comme interlocuteur légal par les pouvoirs publics. On espère y arriver courant 2017.
Les ingénieurs peuvent-ils devenir entrepreneurs ?
Par nature, par formation, ils sont déjà innovateurs. C’est notre objectif de pousser plus d’ingénieurs à devenir aussi entrepreneurs : actuellement seulement 4% d’entre eux sont à leur compte, et nous souhaitons doubler ce taux d’ici 2020 en les encourageant à créer des start-up ou à reprendre des entreprises. On constate déjà une évolution : les jeunes ingénieurs de moins de 30 ans sont beaucoup plus nombreux (1 sur 4) à envisager de créer une entreprise. Moi-même, je recommande systématiquement aux jeunes de débuter dans une PME : cela leur permet d’être beaucoup plus polyvalents par la suite, quitte même dans certains cas à reprendre l’entreprise !
Nous voulons également encourager plus de femmes à devenir ingénieur : elles ne représentent que 20% de l’effectif global, mais sont en écrasante majorité dans l’ingénierie du vivant (agronomie, agro-alimentaire, biotechnologies, chimie). Des actions de sensibilisation ont lieu dans ce sens, notamment dans les collèges et lycées avec notre programme PMIS (promotion des métiers d’ingénieur et de scientifique). Nous avons pris l’initiative d’encourager les femmes ingénieurs à entrer dans les conseils d’administration des entreprises en s’appuyant sur la loi Copé-Zimmermann qui instaure des quotas, en organisant le 3 décembre dernier à la CCIP avec l’Institut français des administrateurs (IFA) une conférence de sensibilisation à ce sujet qui a connu beaucoup de succès. IESF donne d’ailleurs l’exemple, puisque nous avons aujourd’hui onze femmes dans notre CA contre trois seulement il y a quatre ans.
(Propos recueillis par Sophie Lhameen)