Les propos sur les milleniums fleurissent et avec eux des stéréotypes évidents. « Les jeunes ne sont plus comme avant » « ils sont moins attachés à l’entreprise » « ils sont moins impliqués » « ils tiennent plus que leurs aînés à l’équilibre vie personnelle, vie professionnelle »
En réalité les générations se suivent et se ressemblent. Que les jeunes se sentent différents des anciens et inversement est une constante depuis la nuit des temps. La plupart différences sont aussi visibles que superficielles. Les goûts musicaux, les technologies, les arts, les connaissances, le langage notamment évoluent avec le temps, mais les humains restent des humains, avec un cerveau, un cœur, des motivations, des besoins qui ne changent que marginalement. Les propos tenus aujourd’hui par ou sur les milleniums (bientôt eux-mêmes dépassés par la génération suivante) ont une influence sur ce qu’ils sont et ne sont pas, font et ne font pas.
La menace de stéréotype
Ce phénomène a été mis en évidence en 1995 (Claude Steele et Joshua Aronson*). Il s’agit de la tendance à se conformer au stéréotype dont un sujet est l’objet. Plusieurs études sérieuses ces dernières années démontrent l’existence de ce phénomène et son impact sur la performance. La plus connue porte sur les femmes et les mathématiques.
Le stéréotype (une croyance partagée par beaucoup ne reposant sur aucune évidence scientifique) est que les femmes sont moins douées pour les mathématiques que les hommes. Lorsque l’on place un groupe de femmes en compétition avec un groupe d’hommes après rappel du stéréotype auprès des femmes, leur performance est inférieure à celles des hommes quand bien même elles ont un niveau équivalent ou supérieur. Ce phénomène est observable en permanence, et porte sur tous les stéréotypes.
En ce qui concerne les « jeunes » et les « anciens », les stéréotypes évoqués au début de cet article n’échappent pas à la règle. Il en ressort quelques évidences :
– Les milleniums se comportent avec les supposés travers des milleniums tant qu’on entretient ce stéréotype
– Les anciens se comportent en anciens tant que les milleniums les regardent et interagissent avec cette ironie à peine voilée.
Pour autant et en revanche,
– Si l’on cesse d’adhérer au stéréotype et qu’on ne le rappelle pas, le comportement des sujets à ce stéréotype évolue favorablement.
– Les jeunes qui ne se comportent pas selon les stéréotypes les concernant leur échappent ; ils sont qualifiés (comme les femmes très fortes en maths), d’exceptions. Il en va de même pour les anciens. En réalité ils ne sont pas l’exception, mais la norme.
Ceci nous amène à une vérité historique « ce n’était pas mieux avant ».
L’uchronie galopante
Les nostalgiques ont une tendance naturelle à développer une vision uchronique. Ce terme désigne la tendance à non seulement regretter le passé, mais à l’embellir. Cela a pour principale conséquence de déprécier le présent et le futur, et de se centrer sur des regrets aussi inutiles que contre-productifs.
Il est faussement utopique de souhaiter que l’avenir ressemble au passé qui plus est fictif. Toutes les générations ont été jeunes, elles ont toutes en commun d’avoir à construire leur avenir, et de le faire en apprenant. Les connaissances viennent compléter l’expérience et souvent l’éclairer. Elles permettent de « comprendre » au lieu de « juger », d’expliquer au lieu de critiquer.
Le biais de confirmation
Les humains ont tendance à s’accrocher à leurs hypothèses, à privilégier les informations qui les valident et ignorer celles qui pourraient les infirmer. Ce biais est omniprésent dans les considérations sur le management intergénérationnel. Ceux qui sont convaincus que les jeunes générations sont « différentes » peuvent renforcer cette croyance au quotidien en ne prenant jamais en considération ce en quoi elles ne le sont pas.
Une seule chose est sûre : le management doit se moderniser dans ses approches. Le management empirique fait plus de dégâts aujourd’hui qu’il n’en fit par le passé, pour une raison simple : l’influence des réseaux sociaux sur la représentation du monde et du présent.
Vers un management transgénérationnel ?
Plutôt qu’accepter, enrichir et propager des stéréotypes nés d’observations partielles et colorées par des opinions toutes faites, peut-être pourrait-on envisager de capitaliser sur les différences générationnelles et d’en faire des atouts de performance augmentée ?
– Combiner l’expérience et les regards neufs,
– Associer la patience et l’impatience pour mieux avancer plus vite,
– Partager le sens du devoir plus souvent que celui du pouvoir,
– Élargir la vision par une écoute réciproque favorisant l’entente,
– Minimiser les petits travers, maximiser les apports
– Laisser les ego au vestiaire et passer l’ironie et les sarcasmes à la déchiqueteuse.
“La nouvelle génération est épouvantable. J’aimerais tellement en faire partie ! ” Oscar Wilde
*Claude M. Steele et Joshua Aronson, « Stereotype Threat and the Intellectual Test Performance of African Americans », Journal of Personality and Social Psychology, vol. 69, no 5, novembre 1995, p. 797-811 (ISSN 0022-3514,PMID 7473032, résumé [archive]).