Vous en avez marre de perdre votre temps en réunion !?
Par Bernard Marie Chiquet, fondateur de l’institut iGi et créateur du management constitutionnel
Les réunions représentent un investissement en temps et en énergie colossal tant pour l’entreprise que pour chacun d’entre nous. Comment concevoir et faire évoluer ces espaces-temps pour qu’ils soient centrés sur la création de valeurs et permettent le développement de la capacité de chacun à porter l’énergie de la responsabilité ?
Il y a peu, je m’exprimais avec force sur toutes ces réunions qui commencent et finissent après l’heure. Aujourd’hui j’aimerais, une nouvelle fois, exprimer mon ras le bol sur un sujet connexe et que la plupart d’entre nous expérimentons au quotidien : ces réunions sans objet, sans décision et sans contenu. Je suis en effet fasciné de voir à quel point nombre d’entre nous sommes capables de faire et d’enchaîner des réunions vides et vaines, totalement inutiles et où beaucoup se satisfont de parler, rebondir et digresser.
Soit, nous sommes des êtres sociaux. Nous avons besoin d’interagir et de réagir. Pour autant, comment peut-on accepter et se satisfaire de participer à des réunions dont on ne connaît pas l’objet ? Sans savoir quelle en est la vraie finalité ou, simplement, qui en est à l’origine ? De toute évidence, ces réunions où tout est confondu, besoins sociaux et besoins professionnels, ne peuvent être efficientes. On y patauge et parfois même on y souffre, notamment les plus introvertis d’entre nous. C’est pourquoi, si on souhaite donner jour à des réunions vraiment utiles et efficientes, il convient de les concentrer d’abord sur le travail.
Rompre avec des réunions inutiles ou inefficaces
Si les besoins sociaux de chacun ont, bien entendu, une importance réelle, il n’en demeure pas moins que, dans le cadre des réunions, le travail doit en être l’unique objet. Or, le plus souvent, la réalité est tout autre. C’est en tous cas ce que j’ai pu observer dans la plupart des entreprises que je rencontre et que j’accompagne.
Prenons par exemple cette entreprise de la restauration qui a tant de mal à organiser des réunions structurées et préparées. Une situation qui ne l’empêche pourtant pas de multiplier les réunions. A tel point que je soupçonne quelques-uns d’être atteint de ce mal qu’est la « réunionite aigue ». Dans ces conditions, nous avons dû créer et mettre en place une politique, une « application » qui fixe un certain nombre de règles pour qu’une réunion se tienne. En préalable, il faut un demandeur, c’est-à-dire une personne qui exprime le besoin qu’une réunion ait lieu. C’est lui qui organise et anime celle-ci. Il doit également être à même de préciser le résultat escompté de la réunion. Il détermine qui doit être invité et précise les processus qui opéreront avant, pendant et après la réunion.
Autre exemple des effets nocifs de certaines réunions avec cette entreprise de la distribution du sud de la France. Ici, le souhait de l’entreprise est d’impliquer tout le monde dans les prises de décision pour tirer parti de l’intelligence collective.
Problème, la plupart des réunions impliquent un grand nombre de personnes et durent souvent des heures. Noyés, cachés les uns derrière les autres, les personnes voient leur responsabilité se diluer. Longues et floues, les réunions sont rythmées par des interventions, des implications illégitimes portées par des personnes dont la légitimité et les compétences se trouvent ailleurs. On imagine l’impact de tout cela sur l’efficacité des réunions et, à termes, sur l’implication de chacun.
Troisième et dernier exemple, celui de cette entreprise du secteur de l’énergie où les réunions ne sont portées par personne et où tout le monde, compétent ou pas, prend la parole. Ici encore, les réunions se révèlent une perte de temps. Peu de décisions, peu de valeur ajoutée. Pire, alors que ces réunions permettent aux plus extravertis d’occuper l’espace, elles sont une catastrophe pour les autres, les introvertis, ceux à qui tout échappe. Elles sont, en outre, le signal du retour en force des « jeux de jambes » politiques au détriment de la compétence et de la création de valeurs.
Ces trois exemples viennent illustrer ce qui rend inopérantes la plupart des réunions qui se tiennent dans les entreprises. Inutile de chercher la finalité de chacune d’entre elles. Elles n’en ont pas.. Faute de préparation, l’improvisation est de mise. Et quand bien même un sujet est identifié, nul n’est vraiment porteur. Des manques qui inexorablement transforment ces réunions en réunions du « café du commerce » ; il n’y a ni processus, ni cadre fixé. Pire, puisque souvent l’objectif par défaut est de trouver un consensus, aucune autorité claire n’apparaît. Et si l’on ajoute à tout cela le poids démesuré de la tradition orale au détriment d’interactions asynchrones passant par l’écrit ou le partage de document, on mesure le chemin à parcourir. Enfin, last but not least, ces réunions ne respectent pas, le plus souvent, les horaires annoncés. On le voit, difficile d’espérer être efficace dans le cadre de telles réunions.
Le constat n’est bien sûr pas nouveau. En 2011, Christophe Mistou, alors Directeur commercial de Castorama, faisait lui-même le constat. Sur 100 % des réunions créées au titre de la coopération entre les équipes, 30 % seulement en étaient. Mais, 70 % était une pure perte de temps pour les participants. Facile à comprendre, à chaque nouveau sujet, on nommait un chef de projet “transverse” qui, faute d’autorité claire sur le sujet, invitait à chaque réunion la RH, la communication, le contrôle de gestion, le marketing, la vente, etc. Résultat : des réunions à 12 personnes voire plus sans autorité clairement définie, essayant de trouver consensus et compromis pour faire avancer les choses, au prix d’une énergie colossale et pas durable. Conclusion : il convenait d’en finir avec la bêtise d’une recherche systématique de collaboration à tout prix ; et donner l’autorité aux experts, se concentrer uniquement sur le travail et la création de valeurs.
Pour construire des réunions créatrices de valeurs
Pour créer les conditions de réunions efficientes, il est nécessaire de s’intéresser à ce qui peut et doit en faire une réussite. Première condition, et sans doute la plus importante, la mise en place et l’utilisation systématique de processus. Et, au-delà de quelques pratiques récurrentes telles que la détermination d’un ordre du jour, ou le choix des personnes à convier, il convient d’insister sur le fait qu’à chaque type ou objectif de réunion correspond des processus propres. Réunions d’information, de synchronisation, de prise de décision, de concertation, de résolution de problème, d’élaboration de solution, réunion de brainstorming ou …; chacun a ses processus spécifiques.
La seconde condition est d’aborder la question de la réunion en la considérant non comme un simple outil mais comme quelque chose de vivant. De la considérer sous l’angle de la mesure pour qu’elle puisse progresser. L’idée est ici de s’interroger sur le niveau d’énergie des participants à l’issue de la réunion. Est-il ou non supérieur à la sortie de la réunion ? Vouloir mesurer c’est vouloir avancer en s’interrogeant sur la durée, la fréquence ou même les processus qui la caractérisent. C’est aussi travailler sur les rôles particuliers que certains participants vont être amenés à incarner : secrétaire, facilitateur, gardien du temps, ….
En somme, la réunion créatrice de valeurs passe par trois temps distincts : la préparation, l’action, le débriefing / l’apprentissage.
Le processus de triage : un processus par défaut
Si, dans l’idéal, chaque réunion peut avoir des processus spécifiques, il n’en reste pas moins que, même si rien n’a été prévu ou anticipé, et que vous devez organiser une réunion, quelques processus simples, par défaut, peuvent être activés aisément et vous permettre de créer de la valeur.
L’intérêt ici est de pouvoir s’appuyer, quelle que soit les circonstances, sur des processus qui fonctionnent tout le temps, même quand rien n’est prévu. C’est ce que permet le processus de triage. Un processus simple où l’on commence par faire un ordre du jour, préparé en amont ou pas, nourri par celles et ceux qui ont des besoins à porter à l’attention des autres. Chacun réserve, en quelque sorte, un ou plusieurs espaces de travail. L’ordre du jour peut porter sur autant de points que nécessaire. Point 1 amené par monsieur X, point 2 par madame Y, etc. Celui qui le porte est le client.
Une fois cette première étape franchie, le processus veut que, pour chaque point, le porteur amène des éléments de contexte, précise sa demande, ce qu’il attend au juste des autres, des personnes conviées. Il a besoin d’un avis, de partager ou demander des informations, d’un coup de main, etc. Alors que le porteur de l’ordre du jour est le client, ses invités sont les fournisseurs, ses consultants. Un contexte qui impose à celui qui apporte son point de prendre l’énergie de responsabilité de sa demande, et aux autres d’écouter leur collègue jusqu’au bout et de se laisser traverser par ce qu’il exprime.
Toute cette démarche a une grande vertu. Celle de développer le leadership et le followership de chacun. Même dans le cadre d’une demande “floue”, le processus va permettre de mieux définir les contours du point amené et d’y répondre. Dans cette réunion, il y a donc un porteur et une demande; les deux fondements d’une efficience recherchée.
En suivant ces quelques préceptes simples, il est donc possible de faire de nos réunions des lieux de création de valeurs, dans lesquelles chacun a le sentiment de bien utiliser son temps en y participant. Des espaces qui développent aussi l’énergie de la responsabilité chez chacun et les capacités de followership pour tous. Des réunions strictement concentrées sur le professionnel ; des réunions préparées et en constant progrès. À distinguer et compléter par des espaces spécifiques pour nourrir les besoins sociaux des personnes. Des lieux où, enfin, des décisions sont prises et où les clients porteurs des sujets sont satisfaits… tout en respectant les horaires !