Cadre et Dirigeant Magazine CDM – Pourquoi est-il important d’identifier et définir ses émotions dans son travail ?
Laurence Saunder – Qu’est-ce qui enchante notre vie mais qui aussi la perturbe, nous donne énergie et plaisir mais aussi découragement et tristesse ? Nos émotions bien sûr ! Mystérieuses, elles surviennent sans que l’on sache vraiment ni pourquoi ni comment. Déterminantes, elles influencent et régissent tous nos comportements, y compris professionnels. Pourquoi se priver de monter en compétence sur ce sujet afin d’améliorer notre performance ? De surcroit, trop de débordement émotionnel a un coût en termes d’impact sur notre santé.
CDM – Selon vous on peut monter en “compétence émotionnelle”, mais comment ? Comment gérer son émotion et la contrôler ?
Laurence Saunder – L’objectif n’est pas de supprimer l’émotion. Elle est un formidable indicateur d’alerte pour nous prévenir de l’impact des situations. L’objectif n’est pas de vouloir la contrôler, ni la supprimer mais d’identifier qu’elle est effectivement présente. A partir du moment où je l’identifie, je me donne la possibilité de prendre le recul nécessaire, voire de l’atténuer et d’agir autrement dans la situation. Cela nécessite de mettre à jour la pensée automatique corrélée à cette émotion. Par exemple, je dois faire une critique à quelqu’un, mais comme cela me met mal à l’aise (émotion de gêne), j’évite de la faire (comportement d’évitement)… et au bout d’un certain, agacé par l’habitude de l’autre, je finis par faire ma critique un peu brutalement, étant moi-même submergé par ma propre émotion. Si j’avais identifié dès le départ ma gêne à l’idée de faire cette critique, dans la crainte que la personne ne m’en veuille, j’aurais pu trouver le moyen de lui faire passer mon message tranquillement, à un moment opportun, tout en choisissant des mots plus appropriés pour ne pas la blesser.
CDM – D’accord pour les émotions négatives, mais quid des émotions positives ?
Laurence Saunder – Les émotions positives sont un puissant levier de performance et de surcroit, protectrices pour la santé. La psychologie positive (1) l’a démontré. L’enjeu en entreprise est donc de pouvoir développer une culture favorisant l’expression des émotions positives, contribuant ainsi à l’amélioration du bien-être.
CDM – Comment les mettre en œuvre en entreprise ?
Laurence Saunder – J’ai identifié 4 axes relativement simples à mettre en oeuvre :
– Apprendre à voir le positif: ce que je fais bien, ce que l’autre fait de bien. Identifier les moments agréables et positifs. Cela peut paraître simple, mais nous ne sommes pas conditionnés comme cela. Dès notre plus jeune âge, notre système éducatif nous a façonnés de façon à nous centrer sur ce qui ne va pas. Nos professeurs à l’école soulignaient essentiellement nos erreurs, nos progrès à effectuer, et ne s’appuyaient pas sur nos points de force ou les efforts consentis. En entreprise, les managers sont les rois du feedback négatif, pointant les dysfonctionnements et négligeant les retours positifs, les encouragements…
– Donner des instructions « positives » : le cerveau ne sait pas traiter le négatif… Si on vous donne l’instruction de ne pas penser à un éléphant rose, votre cerveau visualise un éléphant rose ! Autrement dit, il est souhaitable d’encourager les gens à utiliser des formulations positives telles que : « on va y arriver », « j’ai confiance » plutôt que « il n’y a pas de problème », « ne t’inquiète pas »…
– Valoriser les initiatives de chacun : même si elles ne sont pas abouties, célébrez, fêtez ! On sous-estime l’impact des fêtes, ces moments de convivialité contribuant grandement à développer une bonne ambiance et renforçant les liens collectifs.
– Prendre en compte le besoin de l’autre : et y être attentif autant qu’au sien, sourire, développer des attitudes d’attention, et de respect. Tout va vite, la communication passe de plus en plus par l’email, il faut donc véritablement prendre le temps de l’échange, du partage, du soutien… indispensables pour favoriser l’efficacité collective.
Autant d’attitudes qui sont simples à mettre en œuvre, mais qui ne sont pas de pratique courante ! La seule difficulté réside à les mettre en application et donc changer soi-même ses habitudes…
CDM – Quelles seraient vos recommandations en la matière ?
Laurence Saunder – Les managers vont nécessairement devoir faire évoluer le fonctionnement et la culture de leur entreprise car les attentes des salariés, et encore plus celles des nouvelles générations à venir, ont considérablement évolué. Au-delà de la rémunération, l’enjeu sera de proposer des environnements donnant le sentiment de vivre au travail plus d’émotions positives que négatives, et de trouver la possibilité d’un accomplissement personnel et professionnel dans ses activités. Ces deux piliers contribuent en effet à développer le fonctionnement social optimal d’un individu. Autrement dit, les entreprises proposant un cadre de fonctionnement promouvant réellement (et non pas en affichage) la satisfaction au travail et la réalisation de soi, réussiront à attirer les talents et en tireront un avantage concurrentiel majeur.
Bonne nouvelle, certaines entreprises ont déjà amorcé leurs démarches, d’autres s’y attellent. Elles ont véritablement compris que l’enjeu de ce début de siècle était pour elles une transformation managériale et culturelle réussie.
1 l’étude scientifique du fonctionnement optimal de l’Homme- étude qui vise à découvrir et favoriser les facteurs permettant aux individus et aux communautés de s’épanouir – Martin Seligman, Mihàly Csikszentmihali, « Positive psychology : an introduction », American Psychologist, n°55, 2000, P5-14.
* Stress.fr aux éditions d’Organisation
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