Harvard Business Review* révèle que 4 millions d’américains ont quitté leur emploi en juillet 2021 et cela touche principalement la tranche 30-45 ans, tandis que les jeunes de 20 à 25 ans ou le groupe d’âge de 60 à 70 ans sont moins concernés. Que se passe-t-il ? Un cumul de facteurs sans doute expliquent ces départs tels que le besoin de sens, le désir d’avoir un emploi digne de soi, une quête d’utilité, un environnement toxique, une défaillance managériale ou tout simplement la crise de mi-vie.
En France, les mêmes maux du travail sont présents, mais le système social est plus enveloppant et permet à un grand nombre d’entre nous de prendre le temps pour penser et se préparer à changer de trajectoire, mais à la condition de ne pas démissionner, sauf pour motif légitime** reconnu par la loi.
Donc, pas de chiffres aussi alarmants en France, en dépit de nombreux collaborateurs qui manquent à l’appel dans divers secteurs. Mais cela ne veut pas dire qu’une crise profonde et sérieuse du travail ne couve pas. Nous observons d’ailleurs bien que les rapports se tendent dans l’entreprise, au point que des salariés se donnent la permission de définir de manière unilatérale leur lieu de vie, sans concertation avec l’entreprise, imposant de fait un nouveau mode de travail basé principalement sur le télétravail et donc une véritable distanciation sociale. De plus, il est fort à parier que les abandons de poste vont augmenter.
Nous devons nous préparer à voir un grand nombre de salariés changer de voie
Pourquoi est-ce une bonne chose ? La moyenne d’ancienneté*** à un poste est de l’ordre de 3%, mais clairement l’ancienneté à une filière métier est très élevée, même s’il y a un changement d’entreprise. En France, nous avons une culture d’étiquette qui enferme trop de gens dans une vision monolithique de leur utilité. De fait, la mobilité absolue du marché français est plutôt faible. Or, parce que le monde bouge et que le digital change les règles du jeu, il faut espérer que le plus grand nombre prendra le plus tôt possible l’initiative de se prendre en main pour comprendre la nature de son employabilité.
Mais à quoi ça sert ? En passer par le bilan de compétences n’est pas une étape
obligatoire ; il y a des personnes dont l’agilité continue leur permet d’être en itération permanente, elles butinent et expérimentent des choses de manière naturelle et apprennent de fait tout au long de leur vie. Ce sont des personnes qui n’ont aucune difficulté à se réinventer car elles ont confiance dans leurs capacités. Elles n’ont pas peur de l’inconnu, et au contraire vont au devant de la nouveauté. Elles sont alors inclassables car douées dans divers domaines. Et clairement, il ne s’agit pas d’être un slasheur, mais de capitaliser sur le temps large pour se déployer de la manière la plus intéressante possible, sans subir la pression du conformisme.
Ainsi, l’enjeu pour le plus grand nombre est à la fois de comprendre le génie qui est en eux et d’apprendre à demander plus pour être en capacité de se réinventer à chaque fois que cela sera nécessaire, et, ce sera le cas, de plus en plus, tant les progrès technologiques vont faire peser une pression exponentielle sur l’utilité des salariés qui, insidieusement, vont s’inscrire dans une compétition entre l’intelligence humaine et l’intelligence artificielle.
Aussi, les gens qui ne savent pas utiliser le matériau que constitue leur intelligence doivent ardemment apprendre à se connaître pour piloter leur employabilité et ne dépendre ni de l’État, ni des entreprises.
Tout le monde n’a pas les ressources pour penser différent, mais chacun peut dépasser les limites dans lesquelles la société a choisi de les enfermer, à commencer par eux-même. Mais bien se connaître prend du temps, et il faut que les mentalités changent en France pour que la majorité des personnes osent se confronter à cet enjeu en y investissant les bonnes ressources.
Un bilan à 360° low-cost ne sert à rien
L’enjeu à terme est de se définir de manière audacieuse, mais aussi de faire les choses, plutôt que de les projeter. Et, la place du curseur est fondamentale. Pierre Desproges aimait à dire, « sans l’ennemi, la guerre est ridicule. »
Il s‘agit donc de mettre la barre au bon niveau, en se murmurant quand l’épreuve est difficile que c’est possible, précisément parce que savoir de quel bois on est on est fait donne des ailes et augmente la capacité à endurer intelligemment, sans subir, mais en élaborant des solutions créatives pour cranter et avancer, jusqu’à sortir de l’impasse. Et c’est ainsi qu’apprendre, échouer et faire face à l’adversité permettra à chacun de grandir, de se frotter au monde et de se sentir en faire partie, au point même de vouloir être de ce qui va arriver.
Avant cela, tout le monde peut se plier à une véritable « discipline de faire » pour être constamment sur le grill, en capacité de choisir l’histoire professionnelle à raconter et cela commence par se tenir informé ; puis, il est vivement recommandé d’avoir un cogito permanent pour maîtriser son état d’esprit avant de mettre en perspective ses savoirs pour décider quel défi mérite d’être relevé, dans quel cadre, et ensuite, vient le moment du switch, incarné par l’entretien de recrutement, qui n’est autre qu’un tango pendant lequel, avec brio, l’expression de la motivation doit être catalysée et structurée méthodiquement pour montrer quelle candidature singulière vous êtes et que surtout vous êtes à la hauteur, même de ce qui peut parfois sembler impossible.
Mais peut-être aussi qu’à l’issue de ce travail réflexif vous aurez envie d’entreprendre, mais ça, c‘est une autre histoire.
* « Who is driving the Great Resignation » by Ian Cook
** Les cas de démission légitime sont fixés limitativement par les textes régissant l’assurance chômage et en dernier lieu par l’article 2 du Règlement d’assurance chômage annexé au décret du 26 juillet 2019
*** Où garde-t-on le plus longtemps le même employeur ? Statista