La crise sanitaire de la Covid-19 a entrainé de nombreuses mutations de notre société, parmi lesquelles le télétravail. En effet, depuis le télétravail imposé à tous ou presque en mars 2020, ce mode d’organisation du travail est entré au cœur des préoccupations à tel point que de nombreuses entreprises ont pris le parti d’intégrer le télétravail à leur fonctionnement ordinaire par le biais de la négociation collective ; à juste titre tant le télétravail est désormais envisagé comme une manière efficace de lutter contre les maux qui nous accablent : reprise épidémique, crise climatique et sobriété énergétique …
Or, profitant des potentialités offertes par le télétravail, de plus en plus de salariés souhaitent s’installer à l’étranger et télétravailler depuis leur nouveau lieu de résidence, soulevant ainsi plusieurs problématiques juridiques et pratiques. En effet, il n’existe pas de statut harmonisé du télétravailleur à l’étranger, contraignant l’employeur à composer avec les règles propres à chaque domaine du droit du travail, de la sécurité sociale et du droit fiscal, ainsi qu’à adapter pour l’étranger les règles pratiques du télétravail.
En l’absence d’une règlementation internationale uniformisée, quel droit applicable ?
L’absence d’une règlementation internationale uniformisée a pour conséquence immédiate que chaque demande de télétravail à l’étranger formulée par un salarié doit être étudiée au cas par cas pour déterminer les règles applicables à la relation de travail à distance.
La question de loi applicable au contrat de travail
La première difficulté posée par le télétravail à l’étranger consiste à déterminer quelle législation est applicable au contrat de travail. Soit celle du pays dans lequel le salarié accomplit habituellement son travail, soit celle du lieu où est établi l’employeur, soit celle d’un autre pays présentant des liens plus étroits avec le contrat de travail.
Afin d’encadrer la pratique, les parties peuvent déterminer en amont quelle loi ils souhaitent voir appliquer au contrat de travail. Toutefois, le choix de la loi applicable ne doit pas avoir pour conséquence de priver le salarié de la protection résultant des dispositions impératives de la loi qui serait applicable à défaut de choix.
Ainsi, même s’il résulte de façon certaine que les parties ont entendu se soumettre à la loi d’un autre Etat, par exemple la législation du pays d’accueil, le salarié pourrait obtenir l’application de dispositions impératives de la législation française, en démontrant qu’elles lui sont plus favorables dans le cadre d’un contentieux (durée du travail, indemnités de licenciement, durée du travail etc.).
Le régime de sécurité sociale applicable au salarié
En matière de sécurité sociale, le régime de sécurité sociale applicable va différer selon qu’il s’agit d’un pays membre de l’Union Européenne ou d’un pays tiers.
Ainsi, au sein de l’Union Européenne, un salarié français qui télétravaille sera assujetti à la sécurité sociale du pays depuis lequel il travaille dès lors qu’il y exerce au moins 25% de son temps de travail (article 13 du Règlement (CE) n°883/2004 ; article 14 du Règlement (CE) n°987/2009). Dans les pays tiers, il convient de se référer, le cas échéant, à la convention bilatérale de sécurité sociale conclue entre l’État d’accueil du salarié et la France afin de déterminer le régime de sécurité sociale applicable.
Dans l’hypothèse où la convention bilatérale prévoit que l’intéressé bénéficie des prestations de la législation de l’État d’accueil, le salarié n’est alors plus soumis au régime français obligatoire de sécurité sociale et l’employeur n’est plus tenu de verser les cotisations sociales correspondantes.
Il est toutefois possible pour le salarié d’adhérer volontairement à la Caisse des Français de l’Etranger (C.F.E) afin de continuer à bénéficier du régime de l’Assurance Maladie en France, entrainant toutefois un double paiement de cotisations à la fois à la C.F.E et dans le pays d’accueil.
L’absence d’anticipation et/ou d’encadrement sur ce sujet est une potentielle source de risque non négligeable pour l’employeur en cas d’accident ou de maladie du salarié à l’étranger.
Le régime fiscal applicable au salarié et à l’employeur
Le télétravail à l’étranger est susceptible d’entrainer une double conséquence fiscale. D’abord, pour le salarié, qui devrait voir sa résidence fiscale modifiée, modification dont il conviendra de tenir compte, notamment en raison des règles du prélèvement à la source.
Ensuite, pour l’entreprise, qui en raison de la présence d’un salarié dans un pays étranger, risque de générer un établissement stable dans le pays où le salarié exerce le télétravail, entrainant l’obligation de s’acquitter d’un impôt sur les sociétés dans le pays d’accueil du salarié.
Les points particuliers de vigilance de l’employeur
Outre tous les aspects du télétravail classique, le télétravail à l’étranger engendre des difficultés intrinsèques au caractère international de la pratique, dont les suivantes :
S’assurer du respect des règles relatives à l’immigration professionnelle
Un salarié citoyen d’un Etat membre de l’espace Schengen peut télétravailler dans un autre Etat membre sans se soucier de la législation en matière de titre de séjour.
En revanche, pour les pays tiers, le salarié français doit disposer d’un titre de séjour l’autorisant à travailler dans le pays d’accueil. L’employeur français est donc souvent contraint d’accompagner le salarié français souhaitant télétravailler dans ses démarches en matière d’immigration, afin de lui permettre d’obtenir un titre de séjour et une autorisation de travail dans le pays d’accueil.
Dans le contexte de la crise sanitaire de la Covid-19, plusieurs pays ont créé des « visas télétravail » pour attirer les talents étrangers. Toutefois, les démarches d’obtention de visa de télétravail sont pour la plupart sensibles et complexes. En effet, la liste des documents demandés est beaucoup plus longue qu’un visa classique.
Pour répondre à cette problématique, l’agence Visamundi a lancé un nouveau service : Nomamundi. Le but étant d’accompagner les télétravailleurs dans l’obtention de ce précieux document. Les premières destinations proposées par la plateforme sont pour le moment : Bahamas, Cap-Vert, Dubaï, Maurice, Seychelles et Taïwan. L’objectif de Nomamundi est aussi de relancer l’économie des destinations, pour beaucoup délaissées depuis la crise du Covid-19. Ces visas de télétravail s’adressent à tout type de travailleur : salarié, freelance ou encore digital nomad. Cette expérience permet de découvrir un pays, sa culture et son mode de vie tout en conservant son travail. Il n’est donc plus nécessaire de quitter son travail pour faire le tour du monde.
L’employeur doit-il prendre en charge les frais professionnels ?
Le principe est que l’employeur prend en charge les frais occasionnés par le télétravail. Si aucune disposition particulière n’est prévue à propos du télétravail à l’étranger, il est néanmoins conseiller d’appliquer le même régime de remboursement des frais ou, à tout le moins d’en fixer le cadre. Dans le cas particulier où une présence ponctuelle en France du salarié serait rendue obligatoire par l’employeur, ce dernier devra prendre en charge les frais de déplacement.
L’obligation de sécurité de résultat et le contrôle de la durée du travail
L’employeur est tenu à l’égard de son salarié d’une obligation de sécurité de résultat. Aussi, il conviendra de s’assurer que le télétravail à l’étranger peut être accompli dans de bonnes conditions exclusives de tout risque pour le salarié. Dans cette optique, l’employeur doit s’assurer du bon respect des règles en matière de durée et d’organisation du travail. En pratique, ces vérifications pourraient être difficile à effectuer et engendrer des risques de contentieux ultérieurs.
La conclusion d’un accord collective sur ce sujet est bienvenue. Si, jusqu’à présent, la gestion RH du télétravail et de la mobilité internationale était cloisonnée, de plus en plus d’entreprises, sensibilisées, ont fait le choix d’encadrer la pratique. C’est notamment le cas de l’U.E.S TUI France qui, dans un accord du 13 septembre 2022, a autorisé désormais 30 jours de télétravail à l’étranger, sous conditions (30 jours pris de manière continue ou non et non reportables d’une année sur l’autre, fuseau horaire maximal de deux heures, territoire offrant un niveau de sécurité suffisant au regard des recommandations du ministère des Affaires étrangères.
En raison de ces nombreuses zones grises, le recours au télétravail ne s’improvise pas. Le télétravail étant une pratique fondée sur le volontariat, le salarié ne peut l’imposer à l’employeur et s’expose à des sanctions disciplinaires en cas de télétravail non autorisé ou dans des conditions autres que celles prévues par accord collectif. Il est donc vivement recommandé d’anticiper et d’encadrer la stratégie de l’entreprise et la pratique par un accord collectif (ou à tout le moins une charte unilatérale, notamment en l’absence de représentation du personnel), ainsi que par un avenant au contrat de travail du salarié concerné.
Si vous souhaitez légalement encadrer le recours au télétravail à l’étranger pour limiter l’impact social et fiscal de ces situations individuelles tout en permettant à vos collaborateurs de vivre une expérience enrichissante à l’étranger, mieux vaut consulter un avocat expert en la matière.