Tout le monde connait Aristote, philosophe incontournable, et précepteur d’Alexandre, dont l’incroyable conquête de l’Orient reste dans les mémoires. Et si Aristote pouvait apporter aux cadres dirigeants quelque chose de ce succès étonnant ? Et si son approche pouvait changer quelque chose de fondamental dans notre vision managériale ? C’est le défi auquel nous sommes ici conviés.
Avez-vous vraiment besoin de re-penser votre management ?
Le management est une conduite d’actions collectives, dans le but d’atteindre les résultats les meilleurs. Conduire une organisation ou un projet demande donc un sens pratique, pour savoir comment faire des choses difficiles (how to) : comment maîtriser ses émotions, comment persuader un client, comment animer un groupe, comment adopter un esprit agile …
Mais il faut aussi répondre à une demande récurrente des salariés, qui ont besoin de comprendre les « pour quoi » au-delà des « comment ». Ils veulent du sens, pas seulement des résultats. Ils souhaitent servir à travers leurs actions et leur travail des valeurs qui leur parlent.
Bergson avait cette jolie formule : « penser en homme d’action et agir en homme de pensée ». Penser, c’est oser explorer la question « pour quoi ? », arrêter de subir les « comment » qui visent les résultats sans interroger leur finalité.
Réfléchir sur votre management, est-ce vraiment
utile ?
La pensée du management n’est pas une réflexion inutile et fumeuse. Elle est utile, car c’est en interrogeant les « pour quoi » qu’on augmente son énergie personnelle, sa motivation. Par exemple, comprendre l’utilité sociale de ce que l’on fait, la reconnaître, y adhérer, et en être fier renforce la conscience de notre raison d’être.
Comprendre la nature humaine, les relations entre la raison et les émotions permet de mieux se positionner vis-à-vis des autres, quand tout se passe bien, mais aussi quand les relations deviennent difficiles. La pensée éclaire l’action et l’action stimule la pensée.
La philosophie : une référence en matière de pensée managériale ou une mode passagère ?
Des philosophes sont aujourd’hui présents dans les médias et les entreprises. Charles Pépin, Julia de Funès ou André Comte Sponville interviennent pour proposer une réflexion plus solide que les rudiments de sciences humaines dont s’inspirent les boîtes à outils managériales et c’est une bonne chose. Car le bon manager s’accomplit à travers ce qu’il fait. Il sait faciliter un esprit de coopération dans son équipe, il sait mettre à disposition les moyens dont chacun a besoin, il organise, maîtrise les délais autant que faire se peut, il comprend ce qui est en train de se faire, encourage, rectifie…
Ce mélange de vision et de pragmatisme constitue la marque de fabrique du bon manager. La tête dans les étoiles et les pieds sur la terre. Comprendre et avancer. Or, ainsi que le souligne Pierre Hadot, le projet philosophique à l’origine vise à bien vivre en cherchant à harmoniser ces deux niveaux.
Les « intellectuels » sont une invention française, le pragmatisme une culture anglo-saxonne. Chez les anciens Grecs, la philosophie était à la fois théorique et pratique, la première s’intéressant au sens, et la seconde à l’action réussie. Contemplation et action.
Aristote, découvreur de la cause finale
Hormis la « success-story » d’Alexandre, Aristote vaut particulièrement le détour pour éclairer la vie managériale des organisations. D’abord, par ce que c’est lui qui a inventé la « cause finale », le « ce en vue de quoi » une chose existe. Dans le monde pratique, la connaissance de la finalité joue un rôle déterminant. Comme dans un roman policier où Sherlock Holmes aborde une situation complexe incompréhensible tant qu’il n’a pas révélé, par son génie inductif, les mobiles du crime. Tout s’éclaire quand le lecteur découvre la raison pour laquelle le crime a eu lieu.
Cette vision simple de la raison d’être d’un projet ou d’une décision est essentielle, et les malentendus ne manquent pas de se produire quand les managers ne sont pas capables de montrer ou de défendre la raison d’être de leurs projets et décisions.
De l’étonnement à l’amitié professionnelle en passant par l’anthropologie et bien d’autres clés
Si la cause finale permet à Aristote d’élaborer une approche de la vision passionnante et d’actualité, il nous donne plusieurs clés pour renouveler une pensée du management :
- Apprendre à s’étonner contre l’usure du quotidien
- Élaborer sa vision grâce aux figures de l’architecte, de l’homme prudent et du sage
- Attribuer à l’humain sa juste place en se fondant sur une anthropologie réaliste
- Renouveler son énergie en s’appuyant sur son désir
- Chercher à s’accomplir à travers son travail
- Maîtriser ses émotions et les mettre au service de ses projets
- Avoir le courage d’affronter les difficultés et d’accepter les défis
- Combattre l’individualisme par un esprit de coopération et de justice
- Décider parfois lentement, parfois vite, toujours prudemment
- Se montrer amical avec ses associés, ses équipes et pourquoi pas ses clients ?
« Bien des choses semblent encore pouvoir être reprises de la pensée d’Aristote » affirme l’ancienne directrice de l’École Normale Supérieure, Monique Canto Sperber. Nous avons pris au sérieux cette recommandation, et nous il nous semble bien qu’elle porte en elle des promesses fructueuses.
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