Cette semaine marque les cinquante ans de ma vie d’expatrié. Je ne suis pas parti de France pour quitter à tout jamais ma terre natale, mais pour aller plutôt à l’aventure durant une année sabbatique que je voulais prendre pour faire le tour du monde, entre la Maîtrise en Études Américaines que je venais de passer à la faculté de Paris X, et mon retour un an plus tard pour y passer un doctorat.
Mais le destin en a décidé autrement. Je n’ai jamais fait le tour du monde, et je ne suis pas non plus rentré en France, ce que j’explique en détail dans la version illustrée de mon livre numérique “Expat New York”, qui a déjà été téléchargé gratuitement par plus de 8,000 francophones du monde entier sur le site http://xpatny.free.fr.
Avec le recul, je me rends compte que j’ai bénéficié de circonstances favorables sans lesquelles je n’aurais jamais pu suivre ce parcours que l’on m’a souvent dit être hors du commun.
Je remercie la France
le pays où je suis né, et où j’ai reçu un enseignement académique exceptionnel. J’ai appris au Lycée Condorcet de Paris que “L’éducation générale est ce qui nous reste quand on a tout oublié” mais, pour autant que mon esprit ait été formé par la pensée cartésienne, je suis aussi guidé par le principe de la remise en question des valeurs acquises, comme nous aimions le faire sur la Butte Montmartre où j’ai grandi, ainsi qu’à la fac de Nanterre en Mai 68.
Je remercie le Brésil
le pays qui m’a fait comprendre ce que sont l’expatriation et l’immigration. Après avoir travaillé dix mois comme guide de safaris en jungle amazonienne de Colombie à Leticia en 1972, le Consul brésilien m’a donné un visa permanent que j’ai activé à Manaus et complété à Rio de Janeiro – la “ville merveilleuse”, comme l’appellent les Cariocas. Je suis alors resté 4 ans et demi à Rio en gagnant ma vie dans le tourisme international et l’hôtellerie de luxe, et j’avoue y avoir pleinement savouré le rêve tropical de “la vie douce” au rythme de la samba. C’est là que, malgré les restrictions de la dictature militaire, j’ai façonné le moule de l’individu que j’avais toujours aspiré devenir, tout en préservant une indépendance personnelle durable.
Je remercie les Etats-Unis
le pays où j’ai choisi de vivre après y avoir passé mon tout premier week-end au Festival de Woodstock en août 1969. Ce “nouveau monde” m’a permis de me réinventer sept fois, jusqu’au jour où j’ai réussi à trouver la niche au sein de laquelle j’ai structuré une vie productive à mon goût, tout en planifiant l’arrivée inexorable du troisième âge.
New York est une ville où l’on peut se réinventer sans être pénalisé pour ses erreurs passées et, durant mes douze premières années ici, j’ai travaillé dans le tourisme international, l’hôtellerie de luxe, la production de télévision par câble avant l’arrivée de MTV et de CNN, l’import et la vente en gros de vins de Bordeaux, la production en tous genres pour la télévision française, et le management de groupes de rock du Lower East Side.
Je me suis finalement stabilisé lorsque je suis devenu acteur syndiqué à plein temps dans toutes les catégories du show-business américain – sauf dans celle du théâtre où je n’aurais jamais pu survivre avec mon accent français. De plus, mon adhésion au monde syndical des acteurs new-yorkais m’a littéralement sauvé la vie, car c’est grâce à celle-ci que j’ai appris comment trouver ma place dans cette industrie difficile, et comment la conserver sans interruption pendant 32 ans.
Et je remercie mon ange gardien
Il m’a toujours sauvé la mise à la suite des nombreuses erreurs que j’ai commises durant ce long parcours, tout en m’évitant de tomber dans les pièges qui menacent constamment les expatriés.
L’expatriation à long terme n’est pas pour tout le monde. J’ai connu beaucoup de perdants, dont certains ont préféré se suicider plutôt que de rentrer en France, sans oublier ceux qui ont fini par vivre comme des clochards de luxe avant de sombrer dans l’oubli. J’ai aussi été le témoin de quelques succès financiers, mais ils sont rarissimes. Pour moi, le vrai succès de l’expatriation à long terme est de réussir à s’intégrer pleinement au sein du nouveau monde où l’on a élu domicile, sans sacrifier pour autant sa personnalité d’origine – ce qui est loin d’être évident.
Passer le reste de ma vie à New York où je suis content de vivre depuis 44 ans
Ma vie quotidienne est ici, mes retraites syndicales et gouvernementales sont ici, tout comme ma couverture médicale, et – alors que j’ai déjà 74 ans – je peux continuer d’y travailler aussi longtemps que je le désire, tant que ma santé me le permet.
Par ailleurs, je viens de célébrer il y a six semaines mon 30ème anniversaire de mariage avec Lilian, une immigrante de Lettonie, alors que j’avais juré de ne plus jamais me marier lorsque le divorce de mon premier mariage a été finalisé il y a 42 ans – ce qui démontre, une fois de plus, qu’il ne faut jamais jurer de rien.
Il m’est difficile de mentaliser qu’un demi-siècle s’est déjà écoulé mais, après 50 ans d’aventures internationales, il est évident que mon identité d’expat à long terme est tout simplement le fruit d’une fusion alchimique de la pensée cartésienne et de l’attitude contestataire françaises, du pragmatisme américain, et d’une bonne dose de tropicalisme brésilien … et tout ce que je peux dire est MERCI.