A quel titre vous demande-t-on de prendre la parole ?
Tenir plusieurs rôles n’a rien à voir avec la schizophrénie. Vous pouvez être successivement professionnel/le, homme/femme, père/mère, ami/e, frère/sœur, skieur, plongeur, joueur d’échec, plein d’humour/avare… La somme de tous ces rôles c’est effectivement vous. Cependant, quand on vous demande dans un contexte professionnel de parler de vous, il s’agit seulement du « vous » qui relève de votre fonction. Qui êtes-vous quand vous êtes « Directeur financier/Partie prenante d’un projet/Responsable Marketing/Postulant… » c’est-à-dire quels sont les éléments de votre biographie – événements, parcours – et de votre identité – traits de caractère, comportements, champs de compétences – qui justifient votre légitimité à prendre la parole en tant que … A quel titre vous demande-t-on de prendre la parole ?
Parler et raconter une histoire
La biographie chronologique, l’énumération et le cv sont les versions aseptisées du récit de soi. S’ils sont une autorisation de paraître, ils deviennent rapidement une invitation à l’oubli. L’être humain, surtout quand les visages se succèdent à un rythme effréné, aime qu’on lui raconte une histoire dont il peut se souvenir, qu’on l’emmène en voyage dans un univers qui lui donne le goût d’être à vos côtés, qui le distrait des routines qui l’accablent. Parler de soi c’est donc partir d’un début, tendre vers une quête qui présente quelques péripéties et annonce un tableau de fin rassurant ou engageant selon le contexte. Naturellement, tous ces éléments seront en relation avec les compétences qu’on attend de vous. Pour construire votre récit, il faut donc commencer par les identifier. Quelles compétences voulez-vous montrer ?
Parler et reprendre le contrôle de soi
Toute communication est une manipulation puisqu’elle a pour objectif d’obtenir quelque chose de l’autre, a minima son attention. Ne rien dire est aussi communiquer quelque chose de soi. Tant qu’à manipuler, autant en être l’auteur bienveillant envers soi-même et adapté à la contrainte (Parlez-moi de vous !). Parler de soi au travers d’un récit auquel vous avez apporté toute votre attention, est l’opportunité de modifier ou de conforter l’impression que votre présence dégage et qui est inconsciemment captée. Les stéréotypes sont ce sur quoi le cerveau humain s’appuie pour traiter à moindre coût cognitif toute information : la rassurante blouse blanche du médecin ! Une personne peut être ressentie comme difficile à faire bouger car corpulente et prouver le contraire par un récit qui construit sa flexibilité. Une autre pourra dégager de la sévérité en raison de ses choix vestimentaires et révéler de la fantaisie par une anecdote amusante qui illumine sa prise de parole. C’est la chance qui est donnée à chacun de reprendre le contrôle de son image, de la modeler à sa guise pour qu’elle soit cohérente par rapport aux attentes. Elaborer un récit de soi est un investissement important, un exercice difficile. C’est le prix à payer pour jouir d’une certaine liberté (Je montre de moi ce que j’ai choisi de dévoiler) et le confort de protéger ce qui peut être manipulé (Je mets à l’abri ce que je sens vulnérable ou précieux). Que voulez-vous qu’on dise de vous ? C’est à partir de cette image que vous construirez votre récit.
Exit la modestie, la peur d’exposer l’intime, de mentir, de renoncer au naturel ou autre inhibiteur. Il ne s’agit pas de cela mais plutôt de faire des choix pertinents qui renforcent et la réalité de vous-même la plus adaptée au contexte et le plaisir que l’autre a de la découvrir.