« Pique la Lune », drôle de surnom pour un leader… Quand on pense leadership, on a immédiatement quelques grands noms du monde économique ou politique qui nous viennent à l’esprit. Mais il était une fois un pilote héroïque de la seconde guerre mondiale, écrivain, journaliste, résistant, ingénieur et dessinateur qui pouvait donner des ailes à ceux qui pilotent aujourd’hui les entreprises…
« Pique la Lune », une allusion à l’atterrissage acrobatique qui lui a valu l’obtention de son brevet de pilotage, et à sa tendance à se réfugier dans son monde intérieur. Intrépide dans les airs, créatif, ingénieux, doté aux valeurs fortes, rêveur et brillant, … en quoi Antoine de Saint Exupéry (St Ex) peut-il s’adresser à ceux qui font l’entreprise d’aujourd’hui?
Son regard lucide sur l’humanité, plein de sagacité et de sagesse, se retrouve au fil d’écrits lumineux, et il suffit d’en cueillir quelques extraits pour comprendre à quel point il peut inspirer la posture de ceux qui ont la responsabilité d’entreprises ou d’équipes entre leurs mains. Visionnaire, St Ex évoque la posture du servant leader, le rapport à l’autorité, la capacité à créer du lien, à motiver, et incarner d’une façon telle qu’elle colle à la réalité du manager actuel alors que ses propos originels n’avaient pas pour contexte l’entreprise.
Mobiliser par le sens et la direction
Saint Exupéry affirme deux choses en la matière : « Le véritable enseignement n’est pas de te parler, mais de te conduire », et « Ce n’est point dans l’objet que réside le sens des choses, mais dans la démarche ».
Revenons sur la notion de démarche. St Ex nous explique que partager l’intention d’un projet est un meilleur levier de mobilisation que la description de celui-ci. Si on prend l’exemple de la décision de développer un nouveau marché à l’étranger, il ne s’agit par pour un CEO d’expliquer de quelle manière il va falloir s’y prendre, mais d’indiquer pourquoi il a été décidé d’élargir le périmètre d’activité et quels en sont les bénéfices attendus. Aux équipes ensuite de se mettre en route pour concevoir le projet.
Quant à l’idée qu’il est plus efficace de « conduire » plutôt que de « parler », on peut le comprendre de différentes façons, mais la plus évocatrice en matière de leadership est d’envisager combien on est plus influent dans l’action que dans les discours. Il faut envisager le mot « conduire » sous l’angle de la définition qu’en donne le Littré : « Faire aller en allant soi-même ». Impulser le mouvement par soi-même plutôt que de chercher à convaincre.
Pour un manager, il s’agit donc d’ouvrir la voie plutôt que d’être dans une posture de « yaka fokon » ! Cela nécessite de bien connaître le terrain, car pour conduire les autres, il faut avant tout disposer des informations pertinentes pour être fiable dans sa manière d’embarquer le collectif à sa suite.
En somme, il s’agit d’inspirer les équipes en les mobilisant par l’intention et par l’action. Pour cela, le dirigeant ou le manager doit savoir rester au contact et garder un pragmatisme qui lui permette d’être crédible.
Générer les conditions de la réussite
Un autre enseignement de St Ex tient aussi à sa vision de l’anticipation : pour lui, il ne s’agit pas d’essayer de prévoir les choses, car il est plus important de créer les conditions de réussite dans le présent afin que le futur se réalise au mieux. En effet, selon lui, si l’on arrive à instaurer les conditions ad hoc de performance, ce que l’on attend de l’avenir se réalisera : « Préparer l’avenir ce n’est que fonder le présent. Il n’est jamais que du présent à mettre en ordre. À quoi bon discuter cet héritage. L’avenir, tu n’as point à le prévoir mais à le permettre. ».
Cette conception peut sembler assez décapante dans la période que nous vivons : l’absence de visibilité, l’incertitude et la sensation que tout peut basculer en un instant prédominent. Et certains chefs d’entreprise peuvent se sentir démunis face à l’impossibilité de prévoir investissements, développements, ou politique d’embauche. Les prévisions qui donnaient le sentiment de préparer et cadrer l’avenir n’ont plus vraiment de sens.
St Ex invite les leaders d’aujourd’hui à simplement se préoccuper du présent : si celui-ci est optimal, il sera le socle de la réussite du futur.
Et on peut y ajouter cette phrase pleine de détermination : « Dans la vie, il n’y a pas de solutions ; il y a des forces en marche : il faut les créer et les solutions suivent ». Une manière de considérer que miser sur les talents, les potentialités, les ressources présentes et les mobiliser est la meilleure manière de parvenir à un résultat. C’est sans doute une façon de dire que si l’on se focalise sur la recherche de solutions, on perd de vue ce qui est essentiel et déjà présent, et on oublie que le chemin est parfois plus riche d’enseignement que l’atteinte de ses objectifs.
Développer et motiver
Cette conception selon laquelle les collaborateurs sont la condition de la réussite est finalement très humaniste et très avant-gardiste, la période d’avant-guerre étant encore bien éloignée de cela.
Il existe une phrase apocryphe très célèbre en la matière, mais redonnons à Saint Exupéry la justesse de ses mots : “(…) si je communique à mes hommes l’amour de la marche sur la mer (…) alors tu les verras bientôt se diversifier selon leurs mille qualités particulières. (…) Celui-là bientôt tissera les toiles (…). L’autre forgera les clous (…). Et tous cependant ne seront qu’un. Créer le navire ce n’est point tisser les toiles, forger les clous, lire les astres, mais bien donner le goût de la mer qui est un, et à la lumière duquel il n’est plus rien qui soit contradictoire mais communauté dans l’amour. “
Ces mots illustrent avec force combien l’humain est capable de grandes choses quand on lui donne l’envie, qu’on lui laisse son autonomie et que la confiance est là. Pour les managers, c’est une conception inspirante, mais qui implique de développer l’habilité de ses collaborateurs à collaborer, à diversifier leurs actions et se coordonner. Le manager, dans cette posture de servant leader, donne le sens, stimule l’envie, et les équipes développent leur expertise. Au final pour le manager, faire entreprise, c’est mobiliser et mettre en route vers un projet commun.
En cas de doute sur la capacité à réussir, Saint Exupéry estime que « Ce que d’autres ont réussi, on peut toujours le réussir », et quoiqu’il en soit, il donne un sens aux échecs auxquels le dirigeant ou ses équipes peuvent se trouver confrontés : « La vérité de demain se nourrit de l’erreur d’hier ». Une façon de relever les défis et de considérer les échecs comme des expériences sources d’apprentissages !
Inspirer et incarner
“Le pouvoir s’il est amour de la domination, je le juge ambition stupide. Mais s’il est acte de créateur et exercice de la création alors le pouvoir je le célèbre.” Saint Exupéry nous donne là une définition très personnelle du pouvoir.
L’exercice du pouvoir est source de fascination, de réflexions philosophiques et managériales, mais au final, quand on est charge de diriger une entreprise ou une équipe, on dispose de peu de temps pour prendre le recul nécessaire à une réflexion posée à ce sujet. Nombreux sont les dirigeants ou managers qui apportent en coaching un questionnement existentiel sur cette thématique : comment exercer une juste autorité sans tomber dans l’autoritarisme ? Peut-on parler en interne de ses doutes ? Comment gérer l’isolement généré par le poids de la hiérarchie ? Faut-il être proche de ses équipes ou maintenir une distance ?… Il ne s’agit pas que d’une question d’image, il s’agit d’une question d’incarnation et de mise en action.
Alors, St Ex nous propose de considérer que le pouvoir est juste et exercé de manière pertinente quand il permet de donner vie à quelque chose, quand il est « acte créateur » : le pouvoir est un catalyseur qui permet à chacun d’exercer pleinement sa mission. Le pouvoir sain est au service du projet de l’entreprise et le dirigeant qui exerce ce pouvoir n’est à la manœuvre que pour stimuler et donner corps.
Une autre des grandes questions liées à l’exercice du pouvoir est celle de la responsabilité : il n’est pas si facile que cela d’assumer la responsabilité des actes des autres. Or, pour Saint Exupéry, celui qui dirige assume aussi bien les victoires que les échecs : « Le chef est celui qui prend tout en charge.» Il dit « J’ai été battu ». Il ne dit pas « Mes soldats ont été battus »
Cela évoque également le courage managérial, et s’il peut paraître évident dans la théorie qu’un responsable rende compte en assumant ce qui a été fait, dans la réalité, ce n’est pas si simple, que l’on soit un dirigeant face à un conseil d’administration ou un manager face à sa hiérarchie. D’autant qu’inversement, on attend des mêmes personnes qu’elles ne s’attribuent pas tout le mérite des réussites de l’équipe ! C’est donc l’humilité qui sert de garde-fou au pouvoir et qui encadre l’exercice.
Pour conclure, une dernière phrase illustre parfaitement la vision humaniste d’Antoine de Saint Exupéry, « Pique la Lune » : « La grandeur d’un métier est avant tout d’unir les hommes ; il n’est qu’un luxe véritable et c’est celui des relations humaines »
Car oui, s’il est bien une mission essentielle pour ceux qui ont la responsabilité d’hommes et de femmes qui travaillent ensemble, c’est bien de protéger et faire croître les relations humaines, qui sont la plus grande des richesses de l’entreprise.
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