Et si les fabricants d’électroménager devenaient des partenaires incontournables de la nutrition ? Et si les constructeurs de jouet se transformaient en écoles ? Et si le centre commercial à côté de chez vous vous proposait une exposition de peinture ? Et si vous pouviez faire de la gymnastique à la gare en attendant votre train ou prendre des cours d’informatique après votre repas au restaurant ? Et si les maisons de retraite étaient aussi des incubateurs de startups ? Auriez-vous peur que cela suscite de la confusion ?
Les risques de ranger ses clients dans des cases
Nous adorons ranger la réalité dans des cases, sur lesquelles nous collons des étiquettes rassurantes. Une gare est une gare ; un restaurant est un restaurant, un musée est un musée ; un commerce est un commerce… et un chat est un chat ! Nous abordons le monde avec un cerveau en forme d’armoire avec tiroirs.
De nombreuses entreprises agissent aussi de la sorte avec leurs clients, leurs partenaires, leurs concurrents, leurs collaborateurs, leurs métiers, sans prendre conscience qu’en les rangeant dans leurs cases, elles les enferment et prennent le risque de passer à côté d’eux.
Certains fabricants de téléphone n’étaient-ils pas convaincus que leur métier était de fabriquer des téléphones, dont l’objectif était seulement de téléphoner ?
Combien d’éditeurs sont enfermés dans l’idée que leur métier est de vendre des livres ?
A force de vouer depuis des siècles un culte à l’identité et de craindre les centaures[2], nous avons oublié que le monde est fondamentalement hybride, c’est-à-dire hétéroclite, mélangé, contradictoire, et que, dans un monde hybride, nous n’avons pas d’autre choix que de l’être également ! Pas de résilience sans hybridation, pour affronter la crise sanitaire et économique actuelle.
Bienvenue dans la société hybride !
Finies les sociétés industrielle et de services, bienvenue dans la société hybride ! On ne peut plus être dans une approche « pure » de « produits » ou dans une approche « pure » de « services » ; il faut désormais apprendre à mêler les deux, ou plutôt inventer une démarche permettant de dépasser ces deux approches, ainsi que les modèles économiques classiques qui y étaient associés.
A partir du moment où produits et services s’hybrident sous un dénominateur commun que sont les usages ou les relations, de nouveaux territoires d’innovation apparaissent : les bâtiments seront serviciels, les voitures se transformeront en salons, les hôtels deviendront des bureaux et les musées, des hôpitaux !
Modèle organisationnel, recrutement, partenariats, formation, stratégie, innovation, management : hybridez-vous, hybridez tout ! Autrement dit, allez vers l’hétéroclite, jetez votre ancre le plus loin possible, même vers ce qui vous semble le plus étranger, vers ce qui vous semble le plus différent de vous.
Ceux que l’on voit comme des alliés aujourd’hui seront peut-être des concurrents demain ; ceux que l’on considère comme des concurrents seront de merveilleux alliés à l’avenir ; et surtout, tous ceux avec qui l’on était convaincu de n’avoir rien à faire ensemble vont sans doute se révéler prochainement des concurrents ou des alliés de grand poids…
Entreprises, universités, institutions publiques, laboratoires de recherche, écoles et élus : allez vers l’hétéroclite ! N’enfermez pas vos clients, vos administrés, vos élèves, votre métier, vos collaborateurs, vos disciplines, vos partenaires, vos concurrents dans des cases et ne vous laissez pas non plus enfermer dans une case ! Faites des mariages improbables !
[2] Gabrielle Halpern, Tous centaures ! Eloge de l’hybridation, Le Pommier, 2020.