Les dernières annonces sur les difficultés budgétaires des régimes de retraite ravivent le débat sur la nécessité de travailler plus longtemps. Au-delà de ce débat, le fait est que les données démographiques invitent à repenser les modalités de la solidarité intergénérationnelle, à réfléchir à l’aménagement des fins de carrière et à l’accompagnement vers la retraite.
Papy-boomers et mamy-boomeuses : vers une « société de la longévité »
De la fin de la Seconde Guerre mondiale au début des années 1970, notre pays a enregistré près de vingt-quatre millions de naissances, soit une moyenne de plus de huit cent mille naissances par an. Dans une conjoncture dynamisée par la reconstruction puis par l’avènement de la société de consommation et de l’American way of life, les enfants du baby-boom ont bénéficié de l’augmentation du niveau de l’instruction, de la distribution d’équipements électroménagers, du développement des loisirs et du tourisme, de la tertiarisation de l’activité économique, de la simplification des conditions de travail permise par le déploiement des outils informatiques, des progrès de l’hygiène et de la médecine, notamment dans les domaines de la gériatrie et de la chirurgie orthopédique.
Les évolutions économiques, technologiques, sociales et culturelles ont contribué à améliorer les conditions d’existence et à allonger l’espérance de vie, qui est passée de soixante-neuf ans à la fin des années 1950 à près de soixante-dix-sept ans en 1990. On ne peut que s’en féliciter mais, dans son livre Le fabuleux destin des baby-boomers, l’ancienne ministre Michèle Delaunay souligne que le recul de la mortalité « bouleverse l’équilibre entre les générations et concerne tous les secteurs de la vie en société, des politiques de santé à l’économie, de la fiscalité à la retraite, de l’aménagement du territoire à la solidarité » jusqu’à provoquer le basculement dans une « société de la longévité ». Les dernières projections lui donnent raison puisqu’elles signifient que, d’ici 2040, le nombre de retraités va augmenter de 33 % et que, dans une vingtaine d’années, la France comptera cinquante personnes âgées d’au moins 65 ans pour seulement cent personnes âgées de 20 à 64 ans.
Des données récentes de la CNAVTS précisent toutefois que l’âge moyen des départs en retraite recule : en 2020, il était de 63,5 ans contre 61,5 ans dix ans plus tôt. Cette évolution ne se fait pas sans dommages car, désormais, plus d’un salarié sur deux arrive à l’âge de la retraite en n’étant déjà plus en activité. Face à cette situation, certains experts alertent sur la nécessité de faire des efforts pour maintenir les seniors dans l’emploi. Le sociologue Robert Rochefort recommande ainsi de recourir à des « règles incitatives au cumul emploi-retraite », à l’adaptation des postes et des horaires de travail, à la prévention des situations de pénibilité, à la formation professionnelle et à des aides à la création ou à la reprise d’entreprise.
Partir à la retraite, ce n’est pas simple et cela se prépare
Si elle représente un enjeu économique et social, donc un enjeu collectif, la retraite est aussi un défi pour chaque personne. Toutes les enquêtes d’opinion ont des conclusions convergentes : les Français restent viscéralement attachés à la préservation des conditions dans lesquelles ils partent à la retraite. Cet attachement n’est pas sans lien avec la façon dont nos compatriotes perçoivent la vie professionnelle. Le travail étant de plus en plus décrit comme un monde pressurisant, la retraite devient une récompense, l’ultime finalité d’une carrière épuisante.
Néanmoins, même lorsqu’il est espéré depuis longtemps, l’arrêt de la vie professionnelle peut être mal vécu. Les difficultés concernent surtout les anciens cadres, qui ont eu des carrières particulièrement prenantes. Anasthasia Blanché observe ainsi, chez beaucoup d’anciens dirigeants, « un surinvestissement dans de nouvelles activités » qui s’accompagne d’une « peur du vide », de l’obsession du « remplissage de l’agenda » et d’un « besoin de raconter, longtemps et longtemps, ce qu’ils ont fait, comment ils ont existé professionnellement ». Dans son livre La retraite, une nouvelle vie, la psychanalyste explique cela par le fait que le travail est un « monde balisé » jouant un « rôle de matrice protectrice » et fournissant des « facteurs structurants » : un poste, un bureau, un emploi du temps contraint, des collègues, de nombreux autres interlocuteurs et l’appartenance à une catégorie socioprofessionnelle. La retraite représente une nouvelle étape de la vie. Elle impose un changement de rythme et provoque une perte de repères, la nostalgie d’une gloire passée, l’angoisse de devenir has-been, un sentiment de vide et d’inutilité.
Fort heureusement, des solutions existent pour ne pas rater le tournant du départ en retraite. Un rapport remis au Gouvernement en 2020 par Sophie Bellon, Olivier Mériaux et Jean-Manuel Soussan propose quelques idées intéressantes « pour favoriser le vieillissement actif ». Les trois auteurs suggèrent notamment d’aménager les fins de carrière en allégeant les responsabilités confiées aux seniors, en développant la collaboration intergénérationnelle, en finançant des formations de reconversion et en faisant davantage connaître des dispositifs comme la retraite progressive. En complément, Anasthasia Blanché conseille à chaque retraité de procéder à un « remaniement identitaire » en pensant « à réaffirmer ou à clarifier ses valeurs », en apprenant à gérer son temps différemment, en aspirant à de « nouveaux équilibres », en réfléchissant à des activités et à des projets épanouissants.