La très puissante société de capital-investissement Ardian a depuis peu jeté son dévolu sur Groupe ADP (anciennement Aéroports de Paris). Sa dirigeante, Dominique Senequier, préside aux destinées de cette société qui rivalise aujourd’hui avec les géants américains du secteur. Cette polytechnicienne, âgée de 65 ans, est devenue l’une des personnes les plus influentes du monde de la finance internationale et dans le dossier brûlant de la privatisation d’ADP, elle devrait peser de tout son poids politique et financier pour parvenir à ses fins. Portrait.
ARDIAN : 700 investisseurs du monde entier et plus de 550 collaborateurs
Pour le portrait que l’hebdomadaire Le Point lui a consacré, en mars 2018, Dominique Senequier pose auprès de sa garde rapprochée, dix membres du comité exécutif d’Ardian, exclusivement des hommes, tous en costume sombre. Le décor, somptueux, est celui de son appartement new-yorkais, dans le quartier de l’Upper West Side, avec vue sur Central Park, acquis en 2015 pour quinze millions de dollars – l’info a fuité dans le New York Post. Une adresse prestigieuse : celle du célèbre building The Beresford, achevé en 1929, et où ont également vécu, entre autres, John McEnroe, Glenn Close ou Diana Ross.
L’image est symbolique. Dominique Senequier est peu connue du rand public mais c’est pourtant l’une des personnes les plus influentes du monde de la finance internationale. Présidente d’Ardian, une société d’investissement qui rivalise aujourd’hui avec les plus grands noms du secteur comme les Américains Blackstone, Carlyle ou KKR, elle est à la tête de 90 milliards d’euros d’actifs. Un montant vertigineux en provenance de 700 investisseurs du monde entier qu’elle gère avec plus de 550 collaborateurs répartis autour du globe, dans une quinzaine de bureaux en Europe, en Amérique et en Asie.
Un leader du capital-investissement mondial
« Toujours en voyage, prête à bondir d’un avion ou un autre pour mener à bien l’empire financier qu’elle dirige », selon Le Blog Finance (15 janvier 2018), Dominique Senequier est régulièrement citée parmi les personnalités les plus influentes à travers la planète. Les magazines américains Forbes et Fortune l’ont régulièrement classée dans le top 50 ou le top 100 des femmes les plus puissantes du monde. Le Dow Jones l’a également désignée comme « la femme la plus influente du capital-investissement européen. » Et en décembre 2017, Vanity Fair lui accorde la 25e position au classement des Français les plus influents du monde.
Peu après son élection à la présidence de la République, Nicolas Sarkozy l’a nommée en 2007 à la commission pour la libération de la croissance présidée par Jacques Attali, au sein de laquelle elle côtoie un certain Emmanuel Macron. Elle est aussi nommée chevalier de la Légion d’honneur en 2012, intervient régulièrement lors des universités d’été du Medef, et a été consultée en tant qu’experte par le Financial Times sur les conséquences du Brexit.
Il ne faut pas se fier au physique en apparence fragile de cette femme de 65 ans, petite et menue, expliquent ceux qui la pratiquent. « Exigeante, redoutable et redoutée, Dominique Senequier est une légende vivante de la finance. Assise en majesté dans le carré VIP du système capitaliste : le monde opaque, complexe, des fonds d’investissement. Un terrain de jeu financier où les sommes investies deviennent presque abstraites à force d’être faramineuses. Son job ? Générer encore plus d’argent avec beaucoup, beaucoup d’argent », écrit Le Point. « Tous les fonds de pension des États américains, de la Californie à l’État de Washington, lui confient désormais leur argent », explique Patrick Thomas, ancien PDG d’Hermès et président du conseil de surveillance d’Ardian.
De Polytechnique à Axa Private Equity
Cette aura et cette réussite signent l’accomplissement d’un parcours rare, parfois jalousé. Dominique Senequier est née à Toulon en 1953, dans une famille de scientifiques – sa grand-mère est professeur de mathématiques et son père, ingénieur polytechnicien. Elève brillante, elle passe son bac à seize ans, suit les classes préparatoires maths sup – maths spé au lycée Thiers de Marseille, puis présente Polytechnique, dont le concours vient de s’ouvrir aux jeunes filles. Elle est reçue en août 1972, à dix-sept ans et demi, trente ans après son père, avec six autres jeunes femmes.
A sa sortie de Polytechnique (à la 150e place), elle choisit le corps de contrôle des assurances. Elle est repérée dès 1975 par Claude Bébéar, ancien de l’X lui aussi et alors directeur général de la mutuelle de Belbeuf, qui l’invite à déjeuner pour faire la connaissance de cette toute jeune femme. Dominique Senequier quitte la fonction publique en 1980 pour rejoindre l’assureur GAN au poste de secrétaire générale, puis devient directrice générale des participations du groupe en 1993. C’est là qu’elle apprend le métier de l’investissement et entre au capital de diverses entreprises. « C’est dans ces années-là qu’elle apprend à humer comme personne les bons coups, si hétéroclites soient-ils, du moment qu’ils rapportent, et à juger les hommes en un clin d’œil », précise Le Point.
Mais trois ans plus tard, l’assureur fait faillite. Claude Bébéar, désormais PDG d’Axa, géant mondial de l’assurance, qui ne l’avait jamais perdue de vue, la recrute en 1996 pour créer le département private equity d’Axa. Le deal : pour chaque euro confié par Axa, elle devra en trouver deux autres auprès de clients tiers.
« Dame de fer de la finance »
Dominique Senequier se lance alors dans un grand tour du monde des fonds de pension, des établissements financiers et des grandes fortunes de la planète afin de les convaincre de lui confier leur argent. « Les premiers à lui faire confiance seront la Caisse des dépôts du Québec et une filiale de la banque néerlandaise Rabobank. Aux États-Unis, sa première prise de guerre sera le fonds de pension des salariés d’IBM », raconte Le Point. Les premiers rendements affichés par Axa Private Equity, de 25 à 30 % par an, attirent dans la foulée les fonds souverains chinois, koweïtiens, d’Abou Dhabi ou de Singapour. Dotée de 100 millions d’euros à son démarrage, la société franchit en 2002 le cap des deux milliards sous gestion. Huit ans plus tard, en 2010, le cap des 25 milliards d’euros est dépassé. « Une dizaine d’années à la tête de la filiale de capital-investissement d’Axa auront suffi à cette forte tête pour devenir l’une des financières les plus reconnues du monde. L’une des plus craintes aussi », écrit le mensuel Challenges en octobre 2010 à propos de celle qu’il baptise « la dame de fer de la finance. » En 2013, Axa Private Equity prend son indépendance et devient Ardian, une société détenue par ses salariés. En six ans, toujours sous la direction de Dominique Senequier, les fonds gérés vont alors tripler, passant de 30 à 90 milliards d’euros.
Ceux qui l’ont côtoyée lui reconnaissent généralement une intelligence exceptionnelle, une personnalité singulière, un caractère bien trempé, un degré aigu de compréhension de l’économie mondiale et un flair ultrasensible pour investir au meilleur moment, dans le bon secteur d’activité.
Une sorte de pythie de l’économie mondiale
Sa puissance s’exerce désormais dans le monde entier : l’Europe et l’Amérique du Nord, mais aussi le Moyen-Orient et ses milliards de pétrodollars, l’Asie et sa croissance exceptionnelle. Aujourd’hui encore, Dominique Senequier continue à sillonner les continents à la rencontre de riches investisseurs.
« Avec les années et l’expérience accumulée, Senequier est devenue une sorte de pythie de l’économie mondiale, explique Le Point. On recherche ses oracles de New York à Singapour, en passant par Tokyo. En février 2018, elle a séjourné quelques jours au Koweït, où elle a donné sa vision des cinquante nuances de Brexit, de la réforme fiscale de Trump et des réformes Macron à de hauts responsables du gouvernement. Elle est invitée à déjeuner au 10, Downing Street et rencontre le Premier ministre portugais quand il est à Paris.»
Le métier de la finance internationale et la part importante des fonds américains dans l’activité d’Ardian l’imposent, Dominique Senequier passe aujourd’hui une bonne partie de son temps dans son appartement new-yorkais et dans les bureaux américains de la société… La présidente séjourne également à Paris, où est situé le siège d’Ardian, dans un luxueux hôtel particulier, place Vendôme, en face du Ritz, et où elle habite un triplex dominant le jardin du Luxembourg. Entre ses voyages à travers le monde, elle aime également se ressourcer sur l’île grecque d’Hydra, nous apprend Le Point. Aujourd’hui son parcours et ses amitiés lui donnent certainement un sérieux avantage, alors qu’Ardian se positionne pour faire un joli coup financier tout autant que politique en convoitant les Aéroports de Paris. Il semble que la société a trouvé là une belle aubaine pour faire ce qu’elle sait faire de mieux : faire gagner beaucoup d’argent à ses investisseurs en très peu de temps.