Dès 1936, Charlie Chaplin moquait, dans son film Les Temps modernes, notre rapport à la technologie et aux machines qui ne donnaient à l’Homme qu’un rôle d’exécutant. Si le taylorisme et le fordisme ont fait leur temps, remplacés par de nouvelles formes d’organisation du travail où l’outillage était cette fois-ci au service de l’humain, dans l’industrie 4.0, les machines se parlent entre elles, les lignes robotisées sont interconnectées pour une meilleure productivité et les opérations logistiques s’autogèrent. Et l’Homme dans tout ça ? N’aurait-il plus qu’un rôle de grand gendarme, quelque peu dépassé par l’intelligence des machines eux-mêmes ? Sommes-nous réellement en train de perdre le contrôle ? Il est temps de remettre l’humain au cœur de l’industrie 4.0.
Quand les technologies changent la donne
C’est un fait : l’industrie 4.0 redistribue les cartes et modifie l’organisation hiérarchique du travail. Grâce à l’automatisation d’un certain nombre de tâches, les marges d’erreur se réduisent, les cadences augmentent et la productivité est meilleure. Aujourd’hui au sein d’une usine, si l’on fait abstraction des emplois les plus qualifiés (conception, R&D, informatique par exemple), la production est le plus souvent effectuée dans des ateliers sur des lignes plus ou moins automatisés, surveillés soit par les opérateurs ou par des techniciens de maintenance qui s’occupent de corriger les problèmes les plus urgents.
L’Intelligence Artificielle (IA) permet de trier et d’analyser une masse importante de données, et de faire émerger les problèmes, grâce au principe de « Machine Learning ». La Réalité Mixte améliore les conditions de travail des opérateurs qualifiés en réduisant les risques qualités. Les véhicules à guidage automatique (AGV) ou les exosquelettes réduisent quant à eux les risques associés aux troubles musculo-squelettiques. Nous pouvons donc dire que ces technologies, toutes numériques, couplées ou non à l’IA, à la robotique ou à l’IIoT (Internet Industriel des Objets) améliorent la qualité du travail mais aussi la qualité de vie au travail. Relativement complexes dans leur mise en production et leur appropriation, elles font évoluer la nature du travail humain et poussent les opérateurs à monter en compétences, car il faut savoir réparer, programmer et comprendre une machine pour en tirer tous les bénéfices. Et demain ? Quand les machines seront complètement autonomes, quel sera le rôle de l’Homme ? Nous n’y sommes pas encore mais l’échéance se rapproche.
Et si nous étions déjà allés trop loin ?
Le débat n’est pas de savoir si l’on doit ou non remettre en cause le progrès. La question aujourd’hui est celle de la subordination des machines aux Hommes, et des Hommes aux machines ! Dans le cas de certaines technologies, comme la réalité mixte, les robots industriels (cobots) ou encore les exosquelettes, l’Homme reste en maîtrise complète. Mais lorsqu’il s’agit d’IA, le risque de perte de contrôle est réel.
Quand on voit qu’au Japon[1], depuis 2018 les gestes de certains opérateurs sont surveillés par des systèmes vidéo et analysés, que dans les entrepôts d’Amazon l’IA qui prévoit les commandes et gère les stocks, « dirige » les employés à travers les rayons, ou qu’aux États-Unis[2], des milliers d’individus travaillent dans des conditions précaires pour améliorer l’apprentissage des IA et les aider à être plus performantes, la question du cercle vertueux se pose. Force est de constater que les dérives existent et que la performance des outils prend parfois le pas sur les conditions de travail des Hommes. Mais n’oublions pas que les échecs de l’industrie 4.0 sont souvent le résultat de mauvaises décisions humaines en amont.
Évolution de la cohabitation de l’homme et des machines
Pas de panique : la vision apocalyptique d’un monde où l’Homme ne serait que l’esclave des machines n’est pas réaliste. Il ne s’agit pas de renoncer au progrès technologique, mais bien pour l’humain de trouver sa place dans ce nouveau système. Les nouvelles technologies apportent avec elles de nouvelles problématiques. Il n’y a pas aujourd’hui de perte de contrôle, le rôle de l’Homme restant prépondérant. Dans l’usine du futur, des imprévus, des pannes et des dysfonctionnements ont toujours lieu, et l’homme est gestionnaire du parc d’intelligence des machines. Il surveille, résout les problèmes, répare, fait évoluer et surtout, il prend les décisions critiques.
Si l’IA prémâche la réflexion analytique en faisant émerger les données les plus sensibles, elle n’est qu’un outil pour l’Homme qui garde son plein pouvoir décisionnel : l’IA permet d’agir plus rapidement. C’est encore et toujours lui qui paramètre, nourrit et forme également l’IA. Tant qu’on ne lui accorde pas cette capacité de prise de décision – si tant est qu’elle en soit capable – la place de l’humain restera centrale. Dans ce contexte, la technologie permet aux Hommes de prendre de la hauteur. Et si la nature du travail évolue, certaines qualités humaines comme l’empathie, l’adaptabilité[3] ou la créativité ne sont pas prêtes d’être dépassées par les machines. La cohabitation entre l’Homme et les machines se transforme ainsi en collaboration gagnant-gagnant.
Des technologies qui boostent la réactivité… et la relocalisation ?
D’un point de vue global, les technologies 4.0 bousculent aussi l’ordre établi en termes de compétitivité. Les délocalisations massives, encouragées par la présence d’une main-d’œuvre toujours moins coûteuse, n’auront plus lieu d’être dans le cas d’usines plus automatisées. Le savoir-faire d’opérateurs qualifiés in situ aura tendance à être revalorisé. Si l’on ajoute à cela les problématiques de résilience de la chaine logistique – que la crise du Covid-19 n’a fait que mettre en exergue – nous pouvons affirmer que l’Industrie 4.0 peut jouer en faveur d’une relocalisation plus en accord avec les démarches responsables des entreprises du 21ème siècle.