La place des femmes dans la Tech. Les entreprises du secteur des hautes technologies ne dérogent pas à la règle. Comme dans de nombreux domaines, les femmes n’y sont pas forcément représentées à leur juste valeur. Entre les études, le recrutement et l’évolution interne, elles font face à de nombreux freins. Mais certain(e)s chef(fe)s d’entreprise prennent le sujet à bras le corps. 

La place des femmes dans la Tech : 24% des ingénieurs

Premier constat sans appel : les femmes ne représentent que 24% des ingénieurs selon les chiffres de l’Association Femmes ingénieures. Et seulement 29% dans le numérique et l’IT, selon le rapport publié en novembre dernier par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes.
Il y a donc un problème, et une urgence. Car d’après Aline Aubertin[i], présidente de l’Association Femmes ingénieures et directrice générale de l’école d’ingénieurs ISEP, « la pénurie d’ingénieurs commence à se faire ressentir dans le monde de l’industrie. Chaque année, en France, il faudrait 60000 nouveaux ingénieurs, or seulement 44000 nouveaux ingénieurs sont formés par an, avec la réforme du bac, les jeunes et surtout les filles choisissent de moins en moins les filières scientifiques ».

Déséquilibre hommes-femmes, un héritage encombrant 

Les raisons de ce déséquilibre sont nombreuses. Elles remontent loin, comme le raconte Salomée David-Baousson[ii], Brand content manager chez Ada Tech School :
« À l’époque de la naissance de l’informatique, les femmes ont joué un grand rôle dans son développement, mais ont été exclues rapidement de ce secteur d’activité. Les recruteurs refusaient de les intégrer car cela symbolisait pour eux une ‘dévaluation du métier’. L’éducation patriarcale a ensuite joué son rôle : placement des premiers ordinateurs personnels dans la chambre des petits garçons, publicités orientées exclusivement vers la cible masculine, etc. Au moment des études supérieures, les hommes avaient donc un train d’avance sur les femmes. C’est ici que le cercle vicieux a commencé à prendre forme. » Et il est encore difficile d’en sortir.

Aujourd’hui, le cercle vicieux se retrouve tout au long du parcours des femmes dans les secteurs de la tech. À commencer par le niveau de rémunération, souvent négocié en deçà de ce à quoi elles pourraient prétendre. « Les femmes accordent souvent davantage d’importance à la sécurité de l’emploi qu’à la négociation de leur salaire et restent plus contraintes que les hommes sur ce plan, explique Amélia Fanchette[iii] du cabinet Michael Page TechnologyBeaucoup d’entre elles ont moins le réflexe de se renseigner pour connaître leur valeur sur le marché, ce qui est un premier frein à la (re)négociation et à un plus juste positionnement ». Selon Salomée David-Baousson, « le salaire des femmes dans le secteur de l’informatique est 16% inférieur à celui des hommes. C’est pour toutes ces raisons que les femmes se désintéressent de ce secteur, en plus d’avoir été conditionnées par la société, depuis le départ, sur le fait qu’elles ne soient apparemment pas faites pour ça ».
Plus de la moitié des professionnels de la tech touchent plus de 50K annuels, mais seuls 43% des femmes dépassent ce seuil. Autre élément de réflexion, mis en avant dans le rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes : le déséquilibre dans les postes techniques et de direction, où les femmes ne représentent respectivement que 16% et 22% des effectifs. Résultat : les femmes décrochent, une sur deux quitterait ainsi la tech à 35 ans[iv].  

La place des femmes dans la Tech et les problèmes de recrutement 

Heureusement, il y a des exceptions. Certaines entreprises parfaitement conscientes du problème ont des politiques pour rétablir l’équilibre entre hommes et femmes. Chez Bertin Technologie par exemple, une entreprise spécialisée dans l’instrumentation, « les femmes sont managées comme les hommes. Elles ont le même potentiel, en matière de compétences techniques et scientifiques, hommes et femmes font jeu égal, assure Bruno Vallayer[v], le Président de l’entreprise. En revanche, c’est avant d’arriver chez nous qu’il y a une difficulté, avec des femmes qui sont à la fois moins nombreuses à sortir des écoles d’ingénieurs, mais également moins confiantes pour se lancer sur certains postes. Quand on ouvre un poste, je reçois immédiatement des candidatures d’hommes qui ont 40% des capacités requises. Une femme qui a 80% des capacités en question hésite à postuler en raison des 20% qui lui manqueraient. Donc là, mon travail consiste à dépenser un peu plus d’énergie pour accompagner ces femmes jusqu’à la ligne de départ. »

La place des femmes dans la Tech. Dans les grands groupes également, la féminisation des équipes est un enjeu. Chez Safran (industrie de la Défense), la direction des ressources humaines a annoncé, lors des Assises de la parité en 2023, un plan de féminisation fondé sur 3 axes : l’inclusion et à la mixité professionnelle, l’accompagnement des femmes dans leur projet professionnel et le développement de l’attractivité de l’entreprise. « Les femmes ne sont pas suffisamment représentées dans les filières scientifiques, remarque Anne Farah[vi] de la direction des RH. C’est pourquoi la sensibilisation des jeunes, notamment des jeunes filles, doit se faire dès le primaire. Nous devons créer un environnement qui donne envie à ces futures femmes de s’orienter vers ces études. Notre première action concrète pour l’attractivité a consisté à réécrire l’ensemble de nos offres d’emploi – et en particulier les intitulés de postes – afin de les rendre plus inclusives. »

La place des femmes dans la Tech : la discrimination positive, oui mais… 

Certaines entreprises font le choix, avec prudence, de la discrimination positive pour favoriser l’emploi des femmes. « Nous avons signé le Manifeste pour la Reconversion des femmes dans le métier du numérique, initié par Syntec numérique et Social Builder, se félicite Eve Royer[vii], DRH du groupe Umanis, spécialisé dans la data. Aujourd’hui, la part de femmes dans nos effectifs est de 29% contre 22% dans les entreprises du même secteur. Dès qu’un poste est ouvert, la mobilité interne est le premier prisme envisagé et les candidatures potentielles de femmes sont systématiquement poussées et étudiées. Elles bénéficient des mêmes salaires que leurs homologues masculins, et d’une revalorisation de 2% minimum l’année de leur retour de congé maternité. »

Si la discrimination positive a été à la mode il y a 20 ans sur le marché du travail, ses effets ont parfois été pervers, desservant finalement celles et ceux qui en bénéficiaient. Mais les directions des ressources humaines des entreprises de la tech restent très attentives aux candidatures des postulantes. « Bertin Technologies compte 30% de femmes dans ses équipes, notamment dans les fonctions supports, RH et marketing, souligne Julie Gay[viii], DRH de Bertin Technologies. Sur les postes d’ingénieurs, nous sommes limités par le nombre de femmes ingénieurs qui sortent des écoles. Mais pour nous, ce qui est important, c’est de prendre le meilleur candidat, homme ou femme, sans discrimination dans un sens ou dans l’autre. Nous essayons néanmoins de pousser pour avoir plus de candidates, et nous demandons à nos recruteurs de faire un effort en ce sens. »

La place des femmes dans la Tech. Tous les paramètres de l’équation des inégalités entre les hommes et les femmes sont connus depuis longtemps. En juin 2023, le gouvernement – alors dirigé par une femme, Élisabeth Borne – avait lancé le programme Tech pour toutes[ix] destiné à favoriser les jeunes femmes dans leur parcours de formation, afin qu’elles puissent intégrer au mieux les métiers techniques et d’ingénieurs. Que les pouvoirs publics s’emparent du problème est une chose, mais le principal reste l’attitude des chef(fe)s d’entreprise et des DRH. Car le changement, le vrai, ne viendra que du cœur du réacteur : l’entreprise elle-même.

[i] https://emploi.lefigaro.fr/actu-emploi/moins-nombreuses-moins-bien-payees-les-femmes-ingenieures-toujours-defavorisees-20230126
[ii] https://coolitagency.fr/comment-attirer-et-retenir-plus-de-talents-feminins-dans-les-secteurs-tech/
[iii] https://recruteur.lefigaro.fr/article/des-femmes-dans-le-secteur-de-la-tech/
[iv] https://www.maddyness.com/2023/11/14/une-femme-sur-deux-quitte-la-tech-apres-35-ans-comment-mieux-retenir-ces-talents/
[v] https://www.choiseul-magazine.fr/2024/02/09/bruno-vallayer-la-croissance-de-demain-reposera-sur-le-savoir-faire-de-nos-ingenieurs/
[vi] https://www.rhmatin.com/qvt/motivation-engagement/assises-de-la-parite-2023-comment-sensibiliser-les-femmes-aux-metiers-du-numerique.html
[vii] https://www.focusrh.com/strategie-rh/mobilite-interne-fidelisation-des-salaries/interview-d-eve-royer-drh-du-groupe-umanis-32640.html
[viii] https://www.economiematin.fr/recrutement-profil-entreprise-croissance-bertin
[ix] https://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-avec–tech-pour-toutes–le-gouvernement-veut-renforcer-l-emploi-it-des-femmes-90805.html

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