Les Français ne trouvent plus de sens au travail, mais est-ce pour la raison que l’on croit…

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Les Français et le sens au travail

Le sens au travail : une question sociale

La crise politique et sociale liée à la réforme des retraites a montré à quel point les Français semblaient en doute quant à la sacro-sainte valeur travail, pourtant vantée par les gouvernements successifs de droite (Nicolas Sarkozy) ou de centre droit (Emmanuel Macron). Les sociologues et politologues, qui se sont penchés sur la question, attribuent cette défiance à une crise de sens, elle-même potentiellement liée à plusieurs autres crises : écologique, sanitaire (Covid-19) et générationnelle. Des crises marquées par une aspiration toujours plus forte des plus jeunes à mieux équilibrer leur vie professionnelle et personnelle. Mais est-ce bien la véritable raison ? N’existerait-il pas une cause plus structurelle, liée à l’évolution de l’activité économique en France et qui pourrait expliquer cette situation ?

La transformation de l’économie française

Jean-Laurent Cassely et Jérôme Fourquet, auteurs de La France sous nos yeux, y expliquent comment l’économie française s’est brutalement désindustrialisée à partir des années 80 pour devenir une économie de services tournée, notamment, vers le tourisme et les loisirs. Ils y symbolisent ce tournant par l’ouverture et la fermeture simultanées d’Euro Disney et de l’usine Renault en 1992. Cette mutation de l’économie de l’industrie vers les services s’est traduite par une transformation du travail dans sa nature et dans sa finalité. Pour bien le comprendre, il suffit d’interroger les travaux d’Hannah Arendt (1958) sur le travail et l’œuvre qu’elle développe dans son ouvrage Condition de l’homme moderne.

Le travail et l’oeuvre selon Annah Arendt

Pour Hannah Arendt, le travail est lié à la vie biologique et aux nécessités matérielles de l’existence humaine. Le travail correspond à la production et à la consommation de biens et de services qui répondent à nos besoins. Ces biens et ces services sont constamment renouvelés pour assurer le bon fonctionnement de la société. Le travail est donc un processus cyclique et répétitif, sans début ni fin. Cette définition correspond bien à l’activité dans le secteur des services. Au contraire, l’œuvre concerne la création d’objets durables qui façonnent et organisent le monde matériel. Contrairement au travail, l’œuvre est orientée vers la fabrication d’artefacts qui persistent dans le temps et qui dépassent les besoins immédiats de la vie quotidienne. L’œuvre fait appel à la dimension créatrice de l’être humain qui fabrique quelque chose de concret. L’œuvre est donc, par nature, source de sens. Cette définition correspond bien à l’activité dans le secteur industriel.

Réindustrialiser la France reviendrait aussi à redonner du sens à nos vies 

Le raisonnement d’Arendt montre à quel point le travail, bien que nécessaire, est pauvre de sens, contrairement à l’œuvre qui en est riche. Pour Arendt, il est plus facile pour un ouvrier qui fabrique des voitures, des meubles ou des ponts de donner du sens à ce qu’il fait que pour un employé d’un parc d’attraction. Sans condescendance vis-à-vis du second, il s’agit juste de comprendre que le premier contribue à créer un résultat tangible et durable, ce qui n’est pas le cas du second. De plus, ce processus créatif présent chez le premier implique le développement d’une certaine technicité ce qui n’est pas, à niveau de responsabilité égal, le cas chez le second. L’œuvre associe la créativité et la compétence en un tout unique porteur de sens. C’est d’ailleurs cette double composante qui caractérise le métier d’artisan.

Mon hypothèse est que, si les Français ne trouvent plus suffisamment de sens aujourd’hui à leur travail, la cause est peut-être plus à chercher dans la transformation du modèle économique. En ré-industrialisant la France, on agirait donc à la fois pour une certaine indépendance de notre pays, mais on contribuerait aussi activement à donner plus de sens à nos vies.

Emeric Lebreton, est chercheur en psychologie sociale et cofondateur du groupe ORIENTACTION qui accompagne plus de 11 000 salariés par an dans leur reconversion professionnelle. Il est aussi l’auteur de nombreux ouvrages sur le travail et les questions sociales et économiques qui l’entourent dont Robot Révolution (2019).


Sources : Cassely, J. L. & Fourquet, J. (2022). La France sous les yeux. Paris : Points.
Arendt, H. (2002). Condition de l’homme moderne. Paris : Agora.
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Emeric Lebreton, Président cofondateur du Groupe ORIENTACTION: Enseignant-chercheur en psychologie, Emeric Lebreton renonce à une carrière universitaire toute tracée, en 2008 il crée avec Jacques Brémond Orientaction®, leader français du bilan de compétence et spécialiste de l'accompagnement des évolutions professionnelles. Entrepreneur passionné, altruiste et guidé par l’exigence de résultats, il développe aujourd’hui le groupe Orientaction® en France et à l’étranger, et intervient comme expert et consultant en évolution professionnelle. Il a par ailleurs fondé PSY'ACTION®, un réseau de cabinets spécialisés en psychologie de la santé.