Il existe parfois dans la gentillesse une mollesse-Chamallow qui dans un premier temps paraît confortable et sucrée mais qui peut, dans certaines situations, se révéler neutralisante et contreproductive pour l’organisation. Etre « gentil » en entreprise est-ce une qualité à encourager ou un défaut à corriger ? Réponse d’une experte.
L’effet pervers du moralement acceptable
La gentillesse anesthésie celui qui en est l’objet, elle interfère parfois avec le dynamisme nécessaire à la créativité et aux prises de décisions. La gentillesse est un sentiment moralement acceptable, socialement valorisé et célébré chaque année par une journée nationale. Il est donc difficile de la questionner sans paraître asocial ou sans cœur. Ainsi, il sera toujours plus dangereux d’être critique ou ferme avec quelqu’un de gentil qu’avec quelqu’un de plus épineux. La gentillesse dans sa forme pervertie qu’est le « cirage de pompes » montre d’ailleurs chaque jour sa grande efficacité ; le gentil est sans danger pour le naïf puisqu’il n’entre pas frontalement en opposition ou en compétition. Chez certains la gentillesse est une stratégie de défense, de retrait et aussi de manipulation.
Gentillesse versus pertinence
Nombre d’entre nous n’avons pas été habitués à recevoir la forme subtile de tendresse qu’est la gentillesse. Elle met certaines personnes mal à l’aise car elles ne savent pas comment réagir. Elles y répondent maladroitement par de la froideur, de l’indifférence voire de l’agressivité pour reprendre le contrôle de la situation. Ce qui est dommage car le collaborateur « gentil » paraît toujours plus sympathique que le rugueux. Ainsi, on évitera de remettre à sa place le gentil indépendamment de la légitimité de la remontrance pour éviter de faire chuter sa côte d’amour toujours prégnante dans l’exercice de management. Le primat de la gentillesse sur la pertinence, de la forme sur le fond, produit une certaine injustice et vient saper l’acuité d’une prise de position.
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Les gentils authentiques
Mais il existe des gentils authentiques dont la douceur et l’humanité nous ressourcent. Leur gentillesse parle de politesse, de respect, d’intérêt pour soi et pour autrui. Ils mettent l’accent à raison sur la primauté de « l’être ensemble » pour avancer.
Les américains ont baptisé certaines de ces personnes des Toxic Handlers c’est-à-dire des personnes susceptibles par leur comportements contenants et bienveillants de neutraliser la toxicité des violences relationnelles dans l’entreprise et de permettre d’aller vers l’avant en période de crise. Malheureusement ces Toxic Handlers sont les plus exposés à l’épuisement généralisé du burn-out, et disparaissent petit à petit de l’entreprise. Dénoncer une certaine forme de gentillesse peut paraître provocateur tant chacun semble penser qu’on ne peut être à la fois une chose et son contraire. C’est ignorer que derrière les comportements les plus socialement avantageux peuvent se cacher les plus sombres desseins.
De quelle gentillesse parle-t-on ?
Les problèmes de communication dans l’entreprise et en dehors viennent le plus souvent du fait que personne ne prend le temps de définir ce dont on parle. Je précise donc ici ce que je nomme « gentillesse ». Pour discuter d’une qualité il faut se poser trois questions :
Quel est son opposé ? Quelle est l’intention qui motive l’activation de cette qualité ? Cette qualité est-elle adaptée à la situation ?
L’idée qu’une qualité exclut la présence de son contraire est une vue de l’esprit. La psychanalyse jungienne avec le concept de l’Ombre montre combien une qualité poussée à l’extrême n’est que le révélateur des efforts faits pour contenir son opposé, une stratégie de camouflage en quelque sorte. C’est ainsi que derrière un homme ou une femme délicieux peut se cacher le plus cruel des êtres. Comme l’évoque le psychiatre Boris Cyrulnik dans son dernier opus « […]le Diable et Bon Dieu ne sont pas en conflit, je pensais même qu’ils étaient copains. »
Gentillesse et affirmation de soi
Dans mon propos, la gentillesse-mollesse en entreprise est le contraire de l’affirmation de soi, une expression de la difficulté à émettre un avis, à prendre position. L’intention derrière la gentillesse doit être de permettre à chacun d’exprimer calmement son vécu dans un cadre donné afin de favoriser la créativité.
Il n’y a rien de « gentil » à dire que tout va bien si on nourrit intérieurement une frustration qui ne manquera pas de s’imprimer dans l’organisation plus ou moins violemment (démotivation, absentéisme, maladie, démission brutale…) et lui coûtera très cher. La gentillesse doit donc être la capacité d’exprimer sans crainte et d’entendre sans rage un point de vue différent afin de saisir la réalité d’une situation, l’efficacité d’un process, l’à propos d’un changement… et de l’ajuster en fonction de ces feed-back.
C’est en cela que la gentillesse sert l’entreprise puisqu’elle permet à toutes les intelligences de se confronter sans s’affronter et produire ce qui est le plus adapté à l’objectif poursuivi. Oui, la gentillesse est une qualité dans l’entreprise quand elle veut dire respect de soi par l’expression et d’autrui par l’écoute, quand elle vient huiler les relations de travail pour permettre à chacun d’être au meilleur et au plus confortable de ce qu’il est et de ce qu’il sait faire. Elle se manifeste par le plaisir de partager une même aventure, une solidarité tournée vers le groupe, un effacement momentané de soi. A défaut d’être innée, la gentillesse s’apprend.
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