Créée en 2008 afin de faire émerger un nouveau mode de rupture au Contrat à Durée Indéterminée (CDI), la rupture conventionnelle est peu à peu rentrée dans les mœurs. Toujours plus plébiscité, leur nombre a doublé depuis 2010. En 2022, ce sont plus de 500 000 contrats qui ont été rompus grâce à la rupture conventionnelle ![1] Alors pourquoi réformer la rupture conventionnelle ? La réforme des retraites et la volonté politique d’instaurer un cadre facilitant l’emploi des séniors a eu pour conséquence d’harmoniser le régime social de l’indemnité de rupture conventionnelle avec celui de l’indemnité de mise à la retraite. Décryptage par Corinne Dubost, manager juriste droit social chez RSM France, du nouveau régime social de la rupture conventionnelle, avec l’emploi des séniors en ligne de mire. 

Une voie de rupture du contrat de travail encore jeune

La rupture conventionnelle est apparue afin de combler le vide laissé par les autres modes de rupture de contrat, la démission et le licenciement : celle d’une rupture d’un commun accord. De 2004 à 2008, de nombreux débats ont eu lieu sur la pertinence d’une 3ème voie de rupture du CDI qui aurait le mérite de regrouper les avantages attachés au licenciement et à la démission, sans leurs inconvénients. La rupture conventionnelle est finalement introduite dans le code du travail au travers de la loi du 25 juin 2008 « portant modernisation du marché du travail ». Elle présente ainsi une quadruple particularité :
– elle ne comporte aucune indication sur l’initiative et les motifs de la rupture,
– elle prévoit une indemnité de rupture au moins égale à l’indemnité légale de licenciement (ou conventionnelle si plus favorable),
– elle doit être validée par voie d’homologation administrative afin de prévenir les litiges. Pour les salariés protégés, l’autorisation de l’inspecteur du travail tient lieu d’homologation,
– elle ouvre l’accès à l’assurance chômage.

Ces particularités, et notamment l’absence de précision quant aux motifs de la rupture, ont créé des pratiques de contournement pour les employeurs et les salariés, leur permettant de « détourner » la rupture conventionnelle à des fins financières ou personnelles.

La réformes des retraites et l’impact sur les ruptures conventionnelles

Lors des débats sur le nouveau recul de l’âge de la retraite, l’UNEDIC a mis en lumière, dans son étude publiée en mars 2023[2], une corrélation entre âge légal de départ à la retraite et le chômage des seniors.
Elle a révélé une nette augmentation des RCI lorsque les travailleurs atteignent l’âge de 59 ans, qui représentent 25 % des ouvertures de droit au chômage en 2021. Pour les personnes âgées de 56 ans, ce chiffre retombe à 17 %.
Dans ce contexte, l’UNEDIC considère qu’à l’avenir, en cas de statu quo, « ce pic » devrait à nouveau se décaler sous l’effet des nouvelles règles d’assurance chômage qui ont réduit, depuis le 1er février 2023, la durée d’indemnisation maximale des allocataires de 55 ans et plus à 27 mois (36 mois précédemment).

Cette étude confirme l’hypothèse que la combinaison de l’âge de départ à la retraite et des règles d’assurance chômage a un impact sur les stratégies des entreprises, parfois partagées par les syndicats et les salariés, pour se séparer de leurs seniors.
En partant du constat que le nombre de RCI augmente chaque année chez les salariés âgés de plus de 50 ans (+ 3 % en 2019, + 3,2 % en 2020 et + 4,1 % en 2021 selon la Dares)[3], le gouvernement a considéré que le régime social jusque-là applicable à l’Indemnité de Rupture Conventionnel (IRC) intervenant avant l’âge légal de la retraite incitait les employeurs à se séparer de leurs seniors par ce biais.

En outre, la possibilité d’être couvert par l’assurance-chômage au moins jusqu’à l’âge légal de départ à la retraite encourage les seniors à solliciter une telle rupture selon certains experts, sorte de pré-retraite déguisée.
Pour inciter les entreprises à conserver plus longtemps leurs salariés seniors, la LFRSS[4] pour 2023, portant réforme des retraites, a modifié le régime social des indemnités de RCI et de mise à la retraite. En augmentant la contribution patronale des RCI avant l’âge de départ à la retraite, le gouvernement espère diminuer leur nombre en fin de carrière pour éviter que les salariés ne basculent au chômage avant de liquider leur retraite et ainsi augmenter le taux d’emploi des seniors.

Les changements opérés par la réforme

L’évolution du régime social de l’indemnité de rupture conventionnelle interviendra pour les ruptures de contrat intervenant à partir du 1er septembre 2023. Le Bulletin Officiel de la Sécurité Sociale (BOSS) a précisé dans une mise à jour du 16 août 2023 que le nouveau régime s’appliquera « aux indemnités versées au titre d’une rupture du contrat de travail dont le terme est postérieur au 31 août 2023 ». Cette réforme met en place un régime social unique pour la rupture conventionnelle :
– l’IRC est exonérée de cotisations et de CSG/CRDS dans les limites prévues par la législation de sécurité sociale, y compris lorsque le salarié est en droit de bénéficier d’une pension de vieillesse d’un régime de retraite légalement obligatoire ;
– le forfait social de 20 % est remplacé par une contribution patronale de 30 % et due sur la fraction d’indemnité exonérée de cotisations sociales.

Sur le plan fiscal, aucun changement n’est prévu par la réforme. Sauf modification ultérieure par un texte, l’indemnité peut relever de deux régimes :
– imposable dès le 1er euro pour les salariés en droit de bénéficier d’une pension de retraite d’un régime légalement obligatoire
– exonérée dans les limites prévues par la législation fiscale pour les autres salariés
Parallèlement à l’évolution du régime social des ruptures conventionnelle, le régime social s’appliquant à l’indemnité de mise à la retraite évolue également. La loi supprime la contribution patronale de 50 % qui était due sur la totalité de l’indemnité (exonérée ou non de cotisations de sécurité sociale).

Elle est remplacée par une contribution patronale de 30 %, due uniquement sur la fraction d’indemnité exonérée de cotisations sociales, et harmonise donc le régime avec celui de la rupture conventionnelle.
Concernant les autres cotisations, la CSG/CRDS et l’impôt sur le revenu, il n’y a pas de changement. L’indemnité de mise à la retraite reste exonérée dans les mêmes limites qu’antérieurement.

Cette réforme devrait avoir peu d’impact sur le recours aux ruptures conventionnelles au sein des entreprises. Elle fait partie d’une série de mesures proposées à la suite de la réforme des retraites car la question de l’emploi des seniors demeure une priorité en raison de leur taux d’emploi toujours trop bas à partir de 60 ans.

Certaines mesures issues de la LFRSS pour 2023 devraient concourir au maintien en activité des séniors et donc contribuer au relèvement de leur taux d’emploi. Mais la censure de plusieurs d’entre elles, qui devaient atténuer les effets du durcissement des paramètres de la retraite (notamment l’index seniors, le CDI seniors, l’obligation de négocier sur le maintien en emploi des seniors et l’amélioration de leurs conditions de travail), déséquilibre la réforme avec un risque d’augmentation du nombre de seniors ni en emploi ni en retraite.
Au-delà de l’évolution du régime social de la rupture conventionnelle, il apparait essentiel d’engager une politique active d’emploi des séniors pour les maintenir en activité et lutter contre les pratiques de contournement. En effet, les pratiques d’entreprise tendant à faciliter le retrait anticipé d’activité des seniors et la culture du départ anticipé restent fortes.

[1] Les ruptures conventionnelles. (s. d.). DARES. 11 juillet 2023. https://dares.travail-emploi.gouv.fr/donnees/les-ruptures-conventionnelles
[2] Articulation entre assurance chômage et retraites, UNEDIC, mars 2023. https://www.unedic.org/sites/default/files/2023-03/Articulation entre assurance ch%C3%B4mage et retraites.pdf
[3] Les ruptures conventionnelles. (s. d.). DARES. 11 juillet 2023. https://dares.travail-emploi.gouv.fr/donnees/les-ruptures-conventionnelles
[4] Loi de Financement Rectificative de la Sécurité Sociale
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