Sauver et développer votre entreprise à l’heure du variant delta

Didier Bruere-Dawson

A l’heure où le variant Delta semble déjà mettre en péril les mesures de déconfinement, quelles sont les règles que doivent conserver à l’esprit les entreprises afin de traverser des temps encore incertains pour et sans doute des mois, voire connaître un nouvel élan ?

1 – Faites des constats objectifs pour créer l’adhésion autour de vous

La pire erreur est de ne rien faire en espérant que les difficultés globales épargneront l’entreprise – ou que le temps les gérera si elles sont déjà survenues-, sans voir qu’elles ont souvent d’autres causes et conséquences – aux plans global et de l’entreprise – que celles directement liées à la crise.  Or le facteur temps est souvent trouvé à la faveur de l’allongement du crédit fournisseur et ou au détour de l’allongement de l’endettement à l’heure de l’argent gratuit, le tout souvent en pratiquant la politique du fait accompli.

La solution n’est pas la bonne, car le durcissement des relations avec les partenaires de l’entreprise qui en résulte ne peut entraîner que la détérioration de celles-ci ; là où l’adhésion des partenaires de l’entreprise est l’outil nécessaire à un redressement ou au développement de l’entreprise.

Mais et pour ce faire, il faut d’abord en passer par la phase du constat, sans tabou et, pour cela, ne pas hésiter lorsque possible à solliciter un tiers (expert-comptable, administrateur judiciaire ou autre) qui validera les options qu’il faudra ensuite partager. Les partenaires adhéreront plus volontiers à un plan commercial et/ou industriel soutenu par un professionnel, surtout si le plan ne se limite pas à de simples moratoires mais donne une visibilité. Les entreprises peuvent à cette fin entrer en conciliation selon des barèmes préfixés et ainsi gérer, dans ce mode confidentiel organisé et sécurisé par la loi, des négociations avec leurs partenaires, et ce en vue d’étaler les dettes nées de la crise Covid-19, tout en gagnant ou conservant la confiance de leurs partenaires.

Cette confidentialité de la procédure dite de conciliation permet de limiter les discussions aux partenaires concernés avec la vision toujours distante – et donc neutre mais bienveillante – d’un administrateur ou d’un mandataire judiciaire, mais en évitant le stigmate de la procédure collective. Et si la négociation s’avère impossible avec les partenaires, ou si la conciliation est in fine le cadre d’une restructuration plus profonde, elle peut – à l’initiative du dirigeant qui conserve le contrôle de l’affaire et de la procédure – basculer vers une procédure collective en vue, par exemple, d’imposer aux créanciers récalcitrants une solution raisonnable, ou encore de sécuriser une restructuration passant par des cessions d’actifs etc. La procédure collective, ainsi bien préparée en amont par la conciliation, aura plus de chances d’avoir une issue favorable et rapide pour un redressement pérenne.

2 – Fort de ces constats, sécurisez les financements et leurs garanties

On ne peut limiter le financement à des PGE en espérant que, de reports en reports, le gouvernement reconduira sa garantie et donc l’étendue des prêts à l’infini, avec le secret espoir des abandons qui ne gommeront pas l’origine des difficultés. Il faut savoir que bien avant la crise Covid-19, la France et ses entreprises petites ou grandes étaient les plus endettées en Europe, tant en valeur absolue qu’en valeur relative.

Cela étant, la règle en la matière est de ne pas exclusivement se demander s’il y a trop de dettes, mais à quoi elles sont affectées, quelles sont les sûretés prises et qui en sont les titulaires. Si les contrats de financement ne sont là que pour payer les intérêts d’une dette passée et s’ils ne peuvent dégager voire étouffent les capacités en matière d’investissements vers de nouveaux marchés ou de nouveaux outils de nature à améliorer la rentabilité ou le confort de travail ou de consommation, alors il y a de fortes chances pour que ce soit la source future de difficultés difficilement remédiables au premier coup de vent.

Si les contrats de financement sont passés avec des prêteurs peu ou pas intéressés par le circuit commercial ou industriel, mais exclusivement par la nature de sûretés qui, si mises en œuvre, ruineront le crédit de l’entreprise voire l’entrepreneur, alors ces partenaires seront d’expérience difficiles en cas de négociations telles que rendues nécessaires par le cycle économique ou de vie de l’entreprise.

En réalité, et dès lors que le cash est roi pour le financement du Besoin en fonds de roulement (BFR) comme des investissements, il faut que l’entreprise diversifie autant que faire se peut les sources du financement et la nature des prêteurs et partenaires financiers en fonction des besoins clairement identifiés. Les outils de factoring ainsi que de reverse factoring, les outils de financement des stocks en fonction de sûretés tels que le gage sans dépossession ou autres, sont aussi nombreux que le nombre d’intervenants, allant des banques dites classiques à la Fintech, en passant par des solutions de refinancement d’actifs proposées par La Banque Des Territoires avec les collectivités, ou encore celles des fonds d’investissement en fonds propres soucieux du développement desdits territoires tels que Breizh Rebond. Ces fonds d’investissement connaissent aussi bien la finance que les territoires, industries et commerces qu’ils soutiennent. Ils disposent pour les PME d’outils juridiques et financiers performants déjà largement exploités par les ETI, même lorsqu’ils interviennent en fonds de dettes au travers de financements dits unitranche et dont l’usage s’est démocratisé.

Mais il faut éviter de mettre tous ses œufs dans le même panier, que ce soit au titre du financement ou par le jeu des sûretés, en ce compris du fait des cautions personnelles professionnelles.

4 – Intégrez tous les scénarios sans tabou sans craindre les procédures collectives

Il faut en effet dédramatiser les procédures collectives, et ce même lorsqu’elles débouchent sur une liquidation, ce qui représente environ 60 000 entreprises – essentiellement des TPME – chaque année hors période Covid.

La liquidation – appelée communément et improprement faillite – est certes pour un entrepreneur un choc économique et psychique personnel, de même que pour l’entreprise et pour son environnement. Mais la liquidation peut aussi être la meilleure solution plutôt que de porter à bout de bras un plan de continuation en réalité non viable qui :
1 – n’améliorera pas les relations avec les partenaires commerciaux et financiers de l’entreprise ;
2 – De fait, empêchera l’entreprise d’investir pour financer son retournement voire son BFR.

Il faut que toujours les entrepreneurs, et donc les entreprises, acceptent en un coin de leur esprit le scénario de la liquidation éventuelle, même si cela semble antinomique avec l’idée même d’entreprendre.

La procédure collective, même en cas de liquidation, n’est pas un échec personnel, car elle est souvent le fruit de circonstances contre lesquelles l’entreprise et l’entrepreneur se sont battus avec courage et souvent jusqu’au bout, ou encore le constat courageux de ce qu’il faut s’investir autrement plutôt que de persister. Si elle est déclenchée à temps, elle n’est pas la fin, parce que le stigmate des cotations Banque de France FIBEN 040 et 050 a été supprimé entre 2013 et 2019 et parce que la question des cautions personnelles des dirigeants peut être gérée.
La liquidation, comme les autres procédures collectives, peut aussi être la voie d’un rebond de l’entreprise, d’une renaissance sous une autre forme. Une des ordonnances du gouvernement en mai 2020 avait ainsi permis aux entrepreneurs de présenter des plans de cession sur leurs propres entreprises, i.e. en reprenant un périmètre défini d’actifs et pour un prix forfaitaire. La solution a généré des critiques excessives et l’ordonnance n’a pas été reconduite en janvier 2021.

Il reste que le législateur a simplement remis sur la table ce qui était possible avant même l’ordonnance de 2020, soit la reprise par les dirigeants de l’entreprise mais sous réserve que cela intervienne sur requête du Procureur saisi par les intéressés et après avis des contrôleurs. Il est donc encore possible de reprendre dans certaines situations son activité débarrassée de partie des dettes. Pour autant, cela restera un exercice compliqué car tout retournement réussi se fait avec et non contre les partenaires de l’entreprise – salariés, partenaires commerciaux et financiers -. Il faut expliquer et convaincre ces partenaires de ce qu’il y a un plan industriel et commercial, un avenir auquel ils peuvent croire et qui ne se limite pas à un étalement ou effacement des dettes qu’on leur impose de gré ou de force. Trop de plans de redressement voire de procédures de conciliation ne se sont traduits que par des échelonnements de dettes ajoutés à de vagues promesses de sauvegarde de l’emploi ou d’investissements, en général oubliées quelques mois voire semaines plus tard.

En synthèse, pour redresser ou simplement sauver son entreprise, il faut non seulement être en situation d’écoute de l’évolution de son marché et de ses concurrents, mais aussi prêt à toutes les solutions allant de la diversification à la cession ou au partenariat, jusqu’à la liquidation en passant ou pas par le cadre des procédures de restructuration.
Il n’est pas ici question de se lancer dans plusieurs courses à la fois au risque de se perdre, mais de retenir que lorsque Denys Chalumeau a dû en 2001 céder Promovacances à la suite du 11 septembre 2001, il s’est sauvé parce qu’il s’est recentré sur SeLoger.com, et il a sauvé l’entreprise Promovacances qui, reprise, est partie pour une autre vie avec de nouveaux moyens.

« Va, vis et deviens » sont les mots tirés d’un beau film que doit se répéter l’entrepreneur et ce, dans l’intérêt de son entreprise et de ses membres, mais aussi pour son équilibre personnel. La loi et les partenaires de l’entreprise, financiers et juristes, doivent l’y aider et la boîte à outils française est à cet égard remarquable, en passe d’être encore améliorée d’ici quelques semaines.

Didier Bruere-Dawson, Avocat aux Barreaux de Paris et d’Angleterre, associé au sein du cabinet Bryan Cave Leighton Paisner: Avocat aux Barreaux de Paris et d’Angleterre et passé par le contrôle de gestion, Didier Bruere-Dawson est co leader de la pratique dites des situations spéciales du cabinet Bryan Cave Leighton Paisner en Europe. Depuis près de 30 ans, il accompagne des dirigeants et entreprises confrontées en France et ailleurs à des changements de business modèles ou à des difficultés passagères voire structurelles obligeant à établir et mettre en œuvre des plans de retournement, ou encore visant à saisir des opportunités. Il fait levier d’une pratique reconnue en restructuration et en investissements, en s’appuyant sur des équipes étoffées dans les diverses matières nécessaires aux restructurations de fond qui sont les suites de la crise Covid-19.