Surcharge mentale et travail : un défi à relever pour les entreprises La Journée mondiale de la santé mentale, célébrée le 10 octobre, invite à réfléchir à l’importance du bien-être mental dans le monde du travail. D’après le dernier baromètre réalisé, fin 2023, par Empreinte Humaine en collaboration avec OpinionWay, près de 48 % des employés interrogés se déclarent en détresse psychologique. Ce triste constat met en lumière une préoccupation croissante concernant le bien-être au travail. En réponse à cette situation, une majorité significative de 70 % des entreprises reconnaît qu’il est impératif de renforcer les mesures de prévention des risques psychosociaux, avec des actions visant notamment à simplifier les environnements, maintenir la cohésion des équipes, et reconnaître les signes de stress pour restaurer l’engagement des collaborateurs.

Cette reconnaissance souligne une prise de conscience accrue des entreprises quant à la nécessité d’améliorer leurs politiques ainsi que leurs pratiques autour de la gestion de la charge mentale et le bien-être de leurs collaborateurs, bien que celle-ci ne résulte pas uniquement de l’environnement de travail.

Facteurs externes et internes d’augmentation de la pression psychologique au travail

Le passage d’un monde déjà caractérisé par la volatilité, l’incertitude, la complexité et l’ambiguïté (VUCA, acronyme utilisé pour décrire un environnement en constante évolution) à un modèle plus fragile encore, anxiogène, non linéaire et incompréhensible (BANI, qui représente un monde où les situations sont imprévisibles), souligne une montée générale de l’instabilité ressentie par les collaborateurs au sein de leur entreprise. Cette transformation est exacerbée par des facteurs externes plus vastes tels que la pandémie de COVID-19, les tensions géopolitiques ou encore l’urgence climatique. Ces événements ont non seulement amplifié l’incertitude, mais ils ont aussi rendu les environnements de travail plus complexes et imprévisibles, confrontant les entreprises à de nouveaux défis.

Dans ce contexte, les attentes des collaborateurs envers leur entreprise ont significativement évolué. Ils recherchent désormais une structure « providence », qui offre un soutien tangible pour leur bien-être et leur satisfaction au travail, au-delà des exigences de leurs missions. L’emploi est désormais considéré non seulement comme une source de revenus, mais plus encore comme un moyen d’atteindre un équilibre de vie au sens large satisfaisant. Une approche qui remet en question leur engagement à long terme, ces derniers étant moins attachés que leur aïeux à la sécurité de l’emploi. Par conséquent, les organisations doivent répondre à davantage d’attentes en matière d’épanouissement, à la fois personnel et professionnel.

Cependant, la dissolution des frontières entre vie professionnelle et vie privée, accentuée par le télétravail et l’utilisation omniprésente des outils numériques, crée des défis supplémentaires. Les collaborateurs se retrouvent ainsi souvent dans une situation de disponibilité constante avec des délais de réponse et d’action raccourcis, embourbés dans des processus de plus en plus complexes. Ces situations augmentent leur niveau de stress et compliquent la gestion de l’équilibre vie-travail. Cette pression, tant personnelle que professionnelle, contribue à moyen-long terme à un sentiment de désengagement et de perte de sens. Ces réalités contrastent souvent avec les attentes initiales de flexibilité et d’amélioration de la qualité de vie mises en avant par de nombreuses entreprises. Alors qu’une plus grande autonomie et une meilleure gestion du temps étaient espérées, la réalité révèle un alourdissement de la charge mentale et des exigences, créant un écart entre les promesses et la pratique. C’est la raison pour laquelle, selon une étude OpinionWay, au moins 36 % des salariés vérifient la possibilité d’avoir un équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle avant de rejoindre une entreprise.

Réveiller l’engagement des collaborateurs, leur quête d’impact et décomplexifier leur environnement professionnel

Face à la pression et aux exigences accrues mentionnées précédemment, il est important que les entreprises mettent en place des solutions concrètes pour alléger ces contraintes. Certaines pratiques commencent à se généraliser, comme la réduction des réunions à 45 minutes ou l’adoption d’horaires individualisés. Des initiatives visant à encourager la connexion choisie en dehors des heures de travail participent également à un meilleur équilibre. Ces démarches montrent des améliorations du bien-être et de la productivité.

Par ailleurs, pour relancer l’engagement des employés et leur redonner du sens au quotidien, il est essentiel de définir et de communiquer autour d’une mission inspirante, au-delà des motivations financières. Cela peut se traduire par des initiatives de Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE), telles que des projets en faveur de l’environnement ou des actions associatives par exemple, en impliquant directement les collaborateurs. Ces actions répondent à leur quête d’impact et de contribution à un monde meilleur.

En effet, intégrer ces types d’actions dans la culture d’entreprise permet de créer de la valeur en complément du travail quotidien, d’inspirer les collaborateurs avec une image positive et d’apporter un objectif plus ambitieux et porteur de sens, renforçant ainsi leur sentiment d’appartenance et donc leur fidélisation dans un environnement de travail plus significatif et motivant.

Mais il faut aussi que les entreprises adaptent leurs processus et leur fonctionnement pour décomplexifier les environnements de travail, en se posant systématiquement la question du « pourquoi ».  Pour exemple : « Pourquoi je mets en place ce process RH ? Est-il adapté aux besoins de nos équipes ? »

Maintenir la cohésion en environnements hybrides

Le travail en format hybride, qui allie présentiel et télétravail, s’il n’est pas bien encadré, peut devenir une source de stress complémentaire et d’isolement pour les employés, notamment en raison du manque de limites claires entre les sphères professionnelle et personnelle. Selon un sondage réalisé par Statista en 2022, 15 % des personnes interrogées reconnaissaient un impact négatif du télétravail sur leur vie personnelle, pour 22 % sur leur vie professionnelle. Si ces chiffres témoignent d’une majorité de répondants satisfaits, un format hybride clairement structuré reste nécessaire afin d’offrir un bon compromis pour pallier à ces difficultés.

Pour optimiser ce format de travail hybride, il est donc nécessaire de développer des politiques flexibles et équilibrées en termes de répartition. Ce compromis favorise non seulement la concentration requise pour le travail de fond qui peut être réalisé en télétravail, mais aussi les interactions indispensables à la cohésion d’équipe, en personne. De plus, les environnements professionnels doivent être aménagés pour soutenir la concentration, avec mise à disposition d’espaces silencieux et ergonomiques, et d’espace de réunions pour les projets collaboratifs. Il est en effet crucial de trouver un équilibre entre efficacité technologique et interactions humaines ; les outils de communication et de collaboration choisis doivent faciliter les échanges sans pour autant entraîner une surcharge d’information.

De plus, la proximité managériale joue un rôle clé, avec des managers disponibles et réceptifs aux besoins de leurs équipes, organisant des réunions régulières en tête-à-tête et évaluant fréquemment le bien-être des équipes, et laissant la place à des échanges ouverts et informels. En outre, organiser des moments de partage conviviaux, tels que des déjeuners ou des activités d’équipes, contribue à renforcer les liens entre les membres de tous niveaux et favorise une appartenance au collectif. Une telle approche globale encourage un environnement où chacun se sent soutenu et valorisé, améliorant ainsi la satisfaction, l’engagement et donc la performance au travail.

Reconnaître les signes de stress au travail

Enfin, le bien-être des collaborateurs repose également sur la mise en place d’une politique dédiée qui intègre diverses ressources et pratiques de soutien. Offrir par exemple un accès à des services de soutien psychologique, comme des consultations avec des professionnels agréés tels que des psychologues ou des spécialistes de la santé mentale, permet notamment d’apporter de l’aide dans la gestion du stress et des défis personnels susceptibles d’impacter la vie d’un collaborateur. Une approche plus simple et plus terrain consiste également à nommer des collaborateurs « capteurs de stress ». Formés à la gestion du stress au travail, ils ont pour mission d’accompagner leurs collègues qui les sollicitent, tout en renforçant le sens de leur rôle au sein de l’organisation.

En interne, des campagnes régulières de sensibilisation et de formation des managers et des salariés permettront d’identifier les signes de détresse et d’être en mesure d’apporter un premier accompagnement. La formation joue un rôle essentiel pour permettre aux équipes de repérer les signaux subtils, dits « faibles » de mal-être, en particulier dans des formats hybrides où les interactions sont plus limitées et distantes. La notion de signal faible, apparue dans les années 1970 et développée par le spécialiste du management et mathématicien Igor Ansoff, se définit sous sa forme la plus simple comme « les symptômes annonciateurs d’un changement possible à l’avenir ».  Par exemple, il est important pour les managers de rester attentifs aux signes d’isolement de certains collaborateurs qui pourraient traduire un mal-être au travail, une augmentation d’inquiétudes verbalisées, un changement dans le comportement ou un problème plus important qu’ils pourront communiquer aux RH pour un soutien adapté. Cela est d’autant plus crucial avec la libération de la parole autour des sujets de santé mentale.

En résumé, la pression psychologique ressentie par les collaborateurs provient de facteurs internes mais aussi externes, qui ne sont pas nécessairement directement liés à la charge de travail mais à un ensemble d’éléments variés et complexes. L’omniprésence des outils numériques (professionnels et personnels) qui peut brouiller les frontières entre vie privée et vie professionnelle, rend crucial de respecter le droit à la connexion choisie par l’entreprise mais nécessite aussi la prise de conscience individuelle de ce mélange risqué pour limiter les débordements autant que possible et assurer un équilibre entre les deux sphères. Il est tout aussi crucial de replacer également les employés au cœur des organisations, en les reconnectant à un projet d’entreprise stimulant où chacun a un rôle à jouer et de favoriser les interactions en présentiel, en organisant des moments déconnectés des écrans. Si la formule parfaite n’existe pas, les efforts des entreprises en ce sens favoriseront un meilleur engagement et une plus forte rétention de leurs meilleurs talents.
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