La crise du Coronavirus vue de New-York : rester, rentrer, ou se suicider ?

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Maintenant que je suis coincé chez moi à New York à cause de cette saloperie de Coronavirus qui paralyse la ville, j’ai le temps de parler au téléphone avec mes amis qui, comme moi, sont partis de France il y a des décennies. L’inquiétude mine les esprits. Après avoir ignoré ce qui se passait en Italie, alors que nous aurions pu deviner facilement ce qui allait finir par se passer ici rapidement, la réalité pure et dure nous tombe brusquement dessus, et elle fait peur.

Les désillusions des français « Rockefeller en herbe »

La situation n’était déjà pas très belle dans la mesure où beaucoup d’immigrants de ma génération, qui ont maintenant entre 65 et 80 ans, n’arrivent pas à vivre leur 3ème âge dans les conditions que l’expatriation leur avait fait espérer. Un grand nombre des grands rêveurs que j’ai connus, et qui se prenaient pour des
« Rockefeller en herbe » durant les années 70 et 80, sont devenus des pépères tranquilles qui végètent en retraités typiques de la petite bourgeoisie américaine dans les grandes banlieues new-yorkaises de la mort du p’tit cheval, ou dans les états du sud et du sud-ouest où ils se sont enfermés dans des groupes de maisons sécurisées, ou en Amérique Centrale – comme au Costa Rica ou à Belize – en vivant en marge de la communauté locale. Les gens de ma génération qui sont encore ici sont principalement partis de France à l’aventure il y a une quarantaine d’années. Beaucoup ont bénéficié de circonstances propices en trouvant des opportunités de travail, pour lesquelles ils n’étaient pas toujours vraiment qualifiés, mais auxquelles ils se sont rapidement adaptés.

Les syndicats « à l’américaine » m’ont sauvé la vie

Après six ans en Amérique Latine, je suis arrivé à New York il y a 43 ans avec un visa permanent, et j’ai d’abord fait des jobs de survie pour m’en sortir, avant de monter, avec quatorze investisseurs, ma propre entreprise de programmes quotidiens sur le medium naissant de la télévision par câble, avant l’arrivée de CNN, HBO, et MTV. Comme beaucoup d’autres avant moi, je me suis pris pour un « Rockefeller en herbe », jusqu’à ce que mes investisseurs ferment le robinet du pognon, et me mettent à la rue. Réveil difficile qui m’a forcé à comprendre que le succès de l’expatriation était de savoir s’intégrer au système local, plutôt que d’insister à imposer des vues franchouillardes au marché ambiant. J’ai donc arrêté de me prendre pour un producteur, et décidé de devenir acteur. De manière beaucoup plus importante, j’ai dû joindre les syndicats en 1989 pour gagner ma vie.
Mes amis français ont un mauvais goût du mot « syndicat » à cause de ce qu’ils ont connu en France, mais les syndicats américains sont des guildes à l’ancienne adaptées au monde moderne. Il est vrai que certains ont abusé de leur pouvoir, ou ont été corrompus par la mafia, mais les syndicats d’acteurs sont un modèle exemplaire, et ils m’ont littéralement sauvé la vie.

Les suicides de Français à l’étranger, un sujet tabou

Pendant ce temps, un grand nombre des « Rockefeller en herbe » que j’ai connus ont tout perdu. Le succès de la restauration française des années 1940 à 1980 a énormément chuté quand d‘autres styles gastronomiques internationaux se sont imposés sur la place publique, et beaucoup de restaurants français, dont les propriétaires vieillissaient à grande vitesse sans savoir s’adapter aux changements ambiants, ont fini par fermer.
Les suicides de Français à l’étranger est un sujet dont personne ne veut vraiment parler. De plus, au départ, le gouvernement français ne sait pas vraiment combien de Français vivent à l’étranger, car il ne peut compter que ceux qui se sont inscrits au Consulat de la ville où ils habitent – ce qui est loin d’être le cas de tous ceux qui arrivent. Les chiffres du gouvernement sur le nombre d’expats est donc approximatif. J’ai souvent entendu dire que le vrai chiffre est probablement le double de ce qui est annoncé, mais je n’ai toujours pas vu d’étude sur le nombre de Français qui se sont suicidés à l’étranger.
Personnellement j’en ai connu six. Pour quatre, la pendaison a été le mode favori de se foutre en l’air – dans un pays où il est si facile de trouver un flingue ! Un autre s’est balancé de la fenêtre de son appartement au 5ème étage après avoir essayé deux autres tentatives artisanales qui ont échoué, et le sixième s’est assis dans sa voiture pour s’asphyxier avec un tuyau attaché à son tuyau d’échappement. Il y en a un septième potentiel, mais les témoignages de sa chute sous le métro à Times Square varient entre l’accident et le suicide.

Des clochards de luxe et des professionnels ravagés par le sida et la drogue

En plus de ceux qui se sont suicidés, il y a ceux qui sont devenus des clochards de luxe en dormant sur des bancs publics l’été, et dans des magasins ouverts jours et nuits l’hiver, et qui dépendent de petites piges que leurs anciens amis peuvent parfois leur offrir. J’en ai connu une dizaine, mais ils ont tous fini par disparaître sans laisser de trace. Il y a aussi eu l’hécatombe des années 80 quand le SIDA et la cocaïne ont fait des ravages à une époque où la vie sociale s’était complètement débridée sous l’ombrelle de la permissivité des clubs comme STUDIO 54, TUNNEL, et LIMELIGHT. J’ai vu beaucoup de jeunes professionnels arriver dans des conditions exceptionnelles, avec un avenir prometteur, et tout perdre aveuglément avant d’être obligés de rentrer en France la queue entre les jambes.

Pourquoi un Français qui vit à l’étranger préfère se suicider plutôt que de rentrer en France

En 2003, de Villepin a été la cause de la vague anti-française aux USA avec sa menace inconditionnelle de veto à l’ONU au moment de la guerre de l’Iraq. La gaffe diplomatique de son cocorico tonitruant a levé les masses américaines dans un boycott de tout ce qui était français, et beaucoup de restaurants et petites sociétés indépendantes, ouvertes et gérées par des Français, ont tout perdu. Bon nombre ont fini par rentrer en France complètement fauchés, mais deux de mes connaissances ont préféré se pendre.
On peut se demander pourquoi un Français qui vit à l’étranger préfère se suicider plutôt que de rentrer en France mais, vu d’ici, c’est assez simple à comprendre : rentrer par la petite porte après une longue expatriation lorsqu’on a tout perdu est une admission d’échec que personne ne veut assumer la tête haute.
Mais ceci n’est qu’une raison partielle. J’ai tout saisi lorsque, après avoir obtenu ma nationalité américaine en 1983 – ce que j’avais fait seul sans avocat, et dont j’étais plutôt fier – j’ai écrit à ma mère pour lui en faire part. Sa réponse a simplement été de me déclarer que j’avais finalement trouvé le moyen de trahir ma patrie ! J’ai souvent essayé de lui expliquer que j’étais toujours Français, mais elle ne l’a jamais accepté. J’ai du moins eu le bénéfice de pouvoir constater de première main ce que certains Français pensent de nous.
Lorsqu’on comprend ça et que l’on veut rentrer en France, la main tendue comme un mendiant pour aller faire la manche auprès du gouvernement, en lui demandant des subsides alors qu’on n’a contribué ni au développement ni au bien­-être du pays pendant des décennies, il est alors facile de comprendre que des laissés-pour-compte préfèrent se suicider plutôt que de s’abaisser à cette réalité dévastatrice.

Que vont devenir ces Français sans possibilité de revenus, souvent devenus illégaux ?

New York vient donc d’arrêter le manège magique de sa course de rats … les restaurants ont dû fermer … le personnel qui était payé au lance-pierre et à la semaine va se retrouver à la rue pour des semaines ou des mois … les sociétés françaises qui vendent leurs produits à ces établissements se retrouvent sans marché … les voyages de loisir sont annulés … les écoles sont fermées … les clients de ceux qui ont des professions libérales sont coincés chez eux … et ceux qui vendent des produits de beauté, des vêtements, et autres produits de luxe trouvent des magasins vides ou fermés.
Que vont devenir ces Français sans possibilité de revenus ? Comment vont-ils survivre s’ils n’ont pas les économies nécessaires pour tenir le coup aussi longtemps qu’il le faudra ? Et que vont devenir tous ces jeunes Français qui ont préféré devenir des étrangers illégaux plutôt que de rentrer en France quand ils le devaient, et qui survivaient de petits jobs dans les restaurants maintenant fermés de Brooklyn ?

Je suppose qu’un bon nombre de Français de New York en situation instable seront obligés de rentrer en France, qu’il y aura toujours ceux qui essaieront de rester ici contre vents et marées et, qu’une fois de plus, certains préfèreront se suicider plutôt que de rentrer. Personnellement, je bénis la bonne étoile qui m’a conduit ici et qui, comme pour la grande majorité des immigrants français de New York, m’a permis de vivre une vie que je n’aurais jamais connue en France. Mais ce sont les moments de crise, comme celle que nous vivons en ce moment, qui nous font penser aux moins fortunés.
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Francis Dumaurier, auteur et acteur de cinéma - New-York: Né en région parisienne, Francis Dumaurier après une Maîtrise en Études Américaines sur “Jack Kerouac et la Beat Generation” à l’Université de Paris X Nanterre à l’époque de Mai 1968, après un week-end aux États Unis pour le festival de Woodstock en août 1969, il part à l'aventure , dans la jungle amazonienne comme guide de safaris, 5 ans à Rio de Janeiro dans l’industrie du tourisme, et s’installe à New York où depuis 40 ans il travaille dans le monde du spectacle.