L’usage des moyens de communication revêt une dimension stratégique fondamentale dans toute tentative de conquête de la pratique du pouvoir et de l’exercice d’influence. La grande mutation dans les sciences de l’information et de la communication, utile à la connaissance stratégique, se caractérise par l’émergence d’une nouvelle représentation à travers de nouveaux outils de communication, en particulier les médias sociaux.
La présence de ces médias sociaux dans de récentes campagnes électorales dans plusieurs pays (États-Unis, Brésil, Hongrie…) révèle dans quelle mesure ceux-ci jouent désormais un rôle dans la sphère géopolitique.

En effet, plus de 5,19 milliards de personnes (recensés en juillet 2023) sont présents dans les médias sociaux, soit 64,5 % de la population mondiale. Cependant, bien qu’ils soient des outils de communication indéniables du “Soft power”, leur puissance interroge quant à leur impact sur la scène géostratégique. Entre acteurs mettant en exergue la construction d’un espace public élargi, caractérisé d’un côté par une culture du dialogue libre et de l’autre côté par le danger de la désinformation, l’essor des nouveaux réseaux d’information et de communication offre des promesses sociales, culturelles et en définitive politiques.

Cyberespace, la réalité brutale de la bataille d’influences

Tout au long du XXe siècle, les supports de communication se sont peu à peu transformés en outils à mobiliser pour orienter ou déstabiliser des décisions selon les intérêts défendus. À l’heure de la communication par Internet, la géopolitique des médias sociaux participe à modifier les rapports de force entre les États. Leur utilisation s’affirme au jour le jour pour gagner la bataille d’influences, de rivalités et d’affrontements dans un nouvel espace appelé cyberespace.
Depuis les années 2000, le cyberespace, devenu un enjeu qui suscite un intérêt particulier pour les États, est considéré comme un espace de bataille en parallèle avec les espaces physiques (terre, mer, air et espace).

Cyberattaque, cyberdéfense, cyberespionnage…

Cyberattaque, cyberdéfense, cyberespionnage sont devenus de nouveaux domaines d’activités ayant pris une ampleur croissante comme tous les autres domaines caractérisant les rivalités des pouvoirs entre les États. Le terme cyberespace vient de l’adjectif grec cyber, qui signifie douer pour le mouvement, tandis que le mot espace renvoie au champ spatial. Cependant, il n’y a pas une seule définition, mais de multiples qui peuvent considérablement varier, y compris dans les milieux universitaire et militaire.

La notion inventée par William Gibson dans son roman Neuromancer (1984) a connu un succès avec l’interprétation d’Olivier Kempf (2012) pour qui le cyberespace comprend à la fois le système Internet, l’interconnexion et l’information, formant ainsi un espace à dimensions physiques et cognitives.
Avant même la révolution numérique, certains avaient déjà imaginé des affrontements d’un nouveau type dans un espace virtuel, comme Albert Robida (1883) avec l’idée d’un téléphone qui est capable de transmettre des messages et en 1975 avec l’écrivain britannique John Brunner dans son roman de science-fiction “Sur l’onde de choc” où il a mis en œuvre le concept d’un virus pour protéger une des dernières villes libres de son pays. Vers 1980, l’idée de cyberconflit fait son apparition dans le domaine cinématographique avec John Badham.

Pour passer des romans et salles de cinéma à la réalité brutale de l’actualité internationale, il faut attendre les années 2000 avec la révolution des technologies qui vont au-delà des attentes, jusqu’aux menaces réelles contre notamment la prospérité, la sécurité et la stabilité des États.

Le Cyberespace et les rapports de force entre nations !

Cette mutation dans le cyberespace apparaît comme un nouveau facteur de puissance d’un État visant à compléter la maîtrise des autres types d’espace. L’évolution des technologies en faveur de la puissance étatique fait naître, en plus de la domination de l’espace physique, une nouvelle forme de domination orientée vers le domaine de l’information pour des fins militaires qui a commencé pendant la guerre froide.

À partir des années 1990, un nouveau marché à usage civil apparaît, combinant les services de télécommunication et le traitement de l’information à travers la fourniture de services gratuits tels que la messagerie et la localisation, qui font apparaître une nouvelle dimension dominée par de nouveaux acteurs privés. Cette nouvelle dynamique de maîtrise des technologies de communication (d’influence) dépasse dès lors le cadre militaire pour toucher toutes les catégories d’activités, économiques, sociologiques, politiques, qui sont mises aussi en concurrence dans le domaine informationnel.

Ainsi, l’espace numérique est devenu non seulement une source de richesse économique, mais aussi un espace de rivalité et d’exercice du pouvoir, comme en témoigne la compétition dans le développement de la 5G en 2020. En maîtrisant ce nouvel espace, les États disposent d’une notoriété militaire (pour la sécurité nationale) et peuvent également maintenir une position stratégique pour asseoir la Global Information Dominance visant à défendre les intérêts nationaux.

Médias sociaux, nouveau pouvoir public et concept de “Nation Branding”

Après le blé et le pétrole, la donnée devient une ressource géostratégique indispensable à toutes sortes de prises de décision et aux actions qui s’ensuivent. Ainsi, un rapide regard sur le classement des actions boursières des plus grandes sociétés au monde laisse peu de place au doute. Parmi les plus importantes entreprises américaines cotées en bourse, on trouve celles qui sont liées au traitement des données et à la diffusion de l’information. D’autre part, on constate une forte ambition de la concurrence chinoise, avec le plan Made in China 2025, à devenir la première puissance technologique mondiale dans le domaine du traitement des données.
Depuis, une nouvelle vague de création de contenu s’étend dans les sociétés avec l’arrivée des sites de microblogging, révélant un espace de liberté inédit. Ainsi, les internautes prennent la parole sur des sujets divers, sociaux, politiques ou économiques, synonymes de l’exercice d’un nouveau pouvoir public.

Les médias sociaux sont désormais des supports de stratégies d’influence et de visibilité des États à tous les niveaux, culturel, pratique, religieux, gastronomique et sportif, ce qui renvoie au concept de Nation Branding. Ce terme est synonyme de rayonnement et de gestion de la réputation étatique en matière de sécurité et de stabilité politique, mais aussi de mise en valeur du développement et de la crédibilité des secteurs économiques nationaux sur la scène internationale.

Cependant, la présence d’acteurs étatiques dans les médias sociaux est devenue un enjeu géostratégique pour gagner la bataille d’influence (“soft power”) face aux modèles dominants ou concurrentiels. Pour certains États, les médias sociaux font figure d’outils de coopération État-citoyens afin de mener une stratégie d’influence.

Ainsi, ce nouveau mode d’exercice du pouvoir d’influence conduit au développement de nouveaux moyens, notamment avec les médias sociaux qui offrent 3 grands axes importants de mise en œuvre :
– la propagation informationnelle à grande vitesse
– la personnalisation du contenu par chaque utilisateur
– la mobilisation communautaire selon les intérêts défendus

Acteurs privés, “Smart power” et  “démocratie 2.0”

Dans Future of Power en 2011, Joseph Nye montre que la stratégie d’influence repose essentiellement sur le “Smart power”, un équilibre entre le “Hard power”, exercé par la démonstration militaire, et le “Soft power” exercé par le rayonnement de la politique extérieure d’un pays.
Parallèlement, il ajoute que les nouvelles technologies de l’information et de la communication s’imposent avec leurs propres règles concernant la gestion des affaires internationales, par le transfert du pouvoir d’influence entre les mains citoyennes et celles d’acteurs non étatiques.

Désormais, les acteurs actifs dans les médias sociaux sont des acteurs majeurs dans ce nouvel espace. Ainsi, il est important que les États soient équipés d’outils et de moyens pour la communication à tous les niveaux, interne, local et international, afin de mettre à disposition des contenus qui soient des sources d’information pour les acteurs d’influence et qui leur permettent de concevoir leurs propres messages destinés à leurs propres cibles. Les États sont obligés de prendre en compte cette nouvelle dimension afin de ne pas être dépassés par l’instantanéité et la rapidité de la circulation des informations.

En somme, au cours des dernières décennies, le phénomène des médias sociaux a provoqué une mutation importante dans la sphère géostratégique. Son impact sur l’opinion publique se révèle fondamental. L’apparition du concept “démocratie 2.0”  qui donne la parole à ceux qui traditionnellement ne l’avaient pas, en est un exemple concret. Pour des actions de “soft power”, les États ont besoin du soutien des internautes et des influenceurs sur les réseaux sociaux. L’adhésion de l’opinion publique s’obtient en instaurant un message d’information qui doit être en cohérence avec la réalité des actions, dans le respect des valeurs engagées et loin de la désinformation et de la propagande.
Cyberattaque, cyberdéfense, cyberespionnage credit Depositphotos BiancoBlue

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Ahmed Laftimi, Digital-BPM & e-Gov Advisor | E-Reputation Branding™
A travers plusieurs années d’expériences dans l’environnement du digital et lors de ses déplacements à l’étranger, il cumule une profonde connaissance des enjeux et des contraintes pour aider les acteurs chargés des SI/Ntic à relever les défis et à mieux réussir la transformation digitale de leurs organismes. Aller au-delà du quotidien, une nouvelle passion, s’installe dans l’horizon de mes activités, pour accompagner les dirigeants et les managers à définir la communication digitale appropriée et reprendre le contrôle de leur identité numérique tant professionnelle que personnelle. Membres et Représentant du CMRPI en France ( Centre Marocain de Recherche Polytechnique et d'innovation) Ses domaines de compétences : Conseil en Stratégie Digitale et Organisation SI, Conception et Réingénierie des processus métier, Analyse et Évaluation des risques, Conseil et Conception des Plan de Continuité d’Activité, Accompagnement et conduite du changement