Les barrières à l’application de la data, de l’analytique ou de la data science aux décisions de l’entreprise ne sont plus techniques. Les progrès des logiciels et la performance des machines produisent aujourd’hui des interfaces accessibles et intuitives qui se maîtrisent en quelques jours. Les communautés en lignes permettent à des milliers d’utilisateurs de trouver de l’aide ou des réponses à leurs questions pratiques en quelques minutes. Les techniques et méthodes data, enfin, restent dans la majorité des cas, une affaire de logique simple et de bon sens.
Alors pourquoi le sujet de l’analytique en entreprise reste-t-il un sujet aussi brûlant et a priori complexe ? Mes travaux au Berkeley Fisher Center for Business Analytics et mes programmes de formation data à travers le monde m’incitent à penser que la réponse n’est ni dans la technologie ni dans la data science, mais véritablement dans l’oubli de l’humain dans la transformation. Je rencontre dans la plupart de mes ateliers ou training les trois défis suivants.
Comprendre que rien ne change
Le spectre du digital en entreprise est trop souvent présenté comme la disruption suprême alors que les fondamentaux ne changent pas. Pour l’entreprise et ses salariés, l’objectif reste de fournir le produit ou service de qualité que le client choisira. Ce qui a évolué, c’est la vitesse d’évolution de notre monde, la diversité des concurrents et l’accélération des disruptions (pandémie, terrorisme, krach boursier et autres cygnes noirs*). Face à ces défis, nous devons être plus rapides, innovants, disruptifs, collaboratifs ou plus agiles pour maintenir nos propositions de valeurs attractives et compétitives. Et c’est précisément ce à quoi la maîtrise de la data va contribuer : gagner en visibilité et en temps pour être en mesure de mieux évaluer, décider et exécuter. La data et le digital ne créent pas un monde magique et déconnecté des réalités ; ils ne sont pas une fin en soi : ils sont une réponse aux défis des entreprises.
Inviter tout le monde à la table de la data
L’analytique ou la data science en entreprise ne sont pas le fruit d’une poignée d’analystes. Elles résultent d’une collaboration souvent invisible qui part des collaborateurs qui saisissent les données, ceux qui gèrent leur acheminement, ceux qui la préparent, qui l’analysent et enfin qui la communiquent. Au sein d’entreprises internationales, cette longue chaîne s’étend parfois globalement et implique des centaines de personnes. Elle commence toujours avec les métiers qui doivent quotidiennement répondre à leurs défis opérationnels et finit son cycle avec ces derniers, pour la mise en application des conclusions trouvées.
Sans sensibilisation ou formation à l’importance de chaque étape, comment peut-on espérer que nos collaborateurs s’engagent pour développer cette chaîne décisionnelle et maintenir sa qualité, sa fluidité et sa pertinence ? “Ce n’est pas la queue qui remue le chien, mais le chien qui remue la queue” : c’est l’entreprise dans son ensemble qui doit être engagée dans cet effort pour maîtriser la data.
Accepter les nouvelles normes portées par l’analytique en entreprise
Le changement le plus délicat requis par cette nécessité d’une courroie d’information toujours plus tendue n’est pas dans la mise en place de technologies. La mécanisation des processus data n’est pas différente de celles des révolutions industrielles précédentes. Elle remplace juste des tâches pénibles, répétitives manuelles par des processus intégrés et automatisés qui avec un peu de pratique deviennent naturels. Le problème se trouve dans la revalorisation de notre humanité au travail que nous devons embrasser, si ce n’est accepter.
– Les défis quotidiens de l’entreprise nécessitent plus que jamais notre expérience, expertise et intuition. Si aucune IA ne peut rivaliser avec ces valeurs humaines, c’est bien à nous de mettre à profit pour progresser le temps, l’énergie et la visibilité gagnés grâce à des outils et techniques analytiques maîtrisés. Nous allons devoir sortir de notre routine de confort pour nous confronter plus régulièrement aux nouvelles problématiques de notre métier.
– Une donnée fluide et de qualité apporte une transparence inégalée sur notre activité. Si elle va nous permettre de détecter de nouvelles opportunités, elle va aussi mettre en lumière nos erreurs et nos échecs. Les cultures d’entreprises vont devoir commencer à mieux reconnaître l’effort, l’esprit entrepreneur voir disruptif des collaborateurs et accepter avec plus de bienveillance les ratés. Les cycles d’analyses pouvant être désormais très courts, les projets pourront être rapidement et pragmatiquement évalués pour permettre des échecs ou des victoires rapides (fail fast or quick-win), avec le cas échéant, des impacts limités ou rapidement corrigés.
– Répondre à la complexité des défis de demain ne peut plus être du ressort d’un seul dirigeant-sachant. Ce sont des équipes larges, inclusives et variées qui possèdent les clés de la résolution de la diversité croissante des challenges d’entreprises. Le leadership à tous les niveaux doit progressivement se doter d’un rôle de chef d’orchestre ou de facilitateur, pour déclencher les synergies salvatrices.
Redevenons plus humains grâce à la data
La maîtrise de la donnée et de l’analytique est accessible à tous. Je forme depuis une décennie les étudiants, les professionnels et les populations en retour à l’emploi et je constate que nous pouvons tous apprendre et maîtriser les techniques data qui apporteront précision, confort et rapidité à nos tâches du quotidien. Nous avons tous une contribution à apporter en participant activement à la chaîne de valeur analytique. Une fois maîtrisée grâce à un peu de théorie, quelques outils et beaucoup de bon sens, nous voyons que la promesse de la data est ailleurs : elle est dans la valorisation de notre humanité pour la mettre au service des défis qui nous attendent.
Gauthier Vasseur est directeur exécutif du Berkeley Fisher Center for Business Analytics et instructeur Data et Analytiques dans des programmes internationaux à Stanford, Berkeley, Data Wise Academy, Le Pont et auprès d’associations professionnelles à travers le monde. Il partage son expertise et passion pour le monde analytique, bâti après 12 années en finance et opérations et 15 ans à des postes exécutifs dans des entreprises de la Silicon Valley (Hyperion, Oracle, Google, Semarchy et diverses start-up). Il est également auteur de “Devenez un data pionnier !” aux éditions Mardaga, ouvrage dans lequel il a rassemblé l’ensemble des pratiques (technologie, données, leadership et processus) que nous pouvons tous apprendre pour travailler avec confiance avec notre data (www.devenezundatapionnier.com).
* Cygne noir – d’après l’ouvrage éponyme de Nassim Nicholas Taleb. Un événement dont l’impact est gigantesque et la probabilité d’occurrence est extrêmement faible.