Plus qu’une startup nation, la France est une « entrepreneur nation » : en 2019 on recensait 1,9 millions d’indépendants, dont 600 000 étaient qualifiés. Ils constituent la catégorie de travailleurs qui a le plus cru au cours de ces 10 dernières années. Pourtant, souvent désignés sous le large terme de “freelances”, ils constituent encore un groupe indéfinissable auprès de nombreux acteurs et en particulier les décideurs politiques. La clarification de leur définition est essentielle pour éviter les amalgames et la comparaison dangereuse à d’autres acteurs relevant, eux, de la gig economy (petits boulots), aux besoins et intérêts bien différents
Entrepreneur indépendant : un choix professionnel
“Avoir un client plus qu’un patron”, c’est le choix que font aujourd’hui de nombreux travailleurs qualifiés que nous nommerons “entrepreneurs indépendants”. Il s’agit de profils en quête de plus de liberté, de sens et de flexibilité dans la manière d’exercer leur métier et d’appréhender leur parcours professionnel. Nous parlons ici d’entrepreneurs qui sont pour la majorité diplômés de l’enseignement supérieur, qui appartiennent à toutes les générations et notamment les plus seniors. Traditionnellement présents dans les métiers du numérique (IT, Tech), ils couvrent aujourd’hui un éventail plus large d’expertises intellectuelles (conseil, management de transition, communication, etc.). Ces entrepreneurs indépendants vendent leur expertise dans le cadre de missions spécifiques et se distinguent des indépendants à la tâche qui relèvent essentiellement de la Gig Economy (petits boulots). Aujourd’hui, d’un point de vue juridique, il n’y a pas vraiment de distinction entre les deux catégories. Elle est pourtant fondamentale. Là où les premiers sont en quête de liberté pour s’émanciper, les seconds ont besoin d’un cadre strict pour être protégés.
Une opportunité unique pour nos entreprises
A l’aune des crises que nous traversons, la compétitivité d’une économie repose aussi sur sa capacité à multiplier les sources où puiser ses talents. Or, les entrepreneurs indépendants constituaient près de 2 % de la population active en France en 2020, un chiffre appelé à augmenter alors que le marché des freelances devrait observer une croissance de 10% entre 2020 et 2025. Les entrepreneurs indépendants constituent un vivier de talents rapidement mobilisable pour les organisations en quête de créativité, mais aussi d’expertises pénuriques au sein de secteurs extrêmement compétitifs. Une étude Udacity révèle par exemple, pour 59% des entreprises, les pénuries de talents, et plus particulièrement dans le digital, ont un impact négatif sur leurs performances.
Dans un pays où il est facile d’entreprendre et où le statut d’auto-entrepreneur est un avantage concurrentiel, nous devons être fiers de ce nouveau modèle d’organisation qui façonne la “talent economy”. Pourtant, des freins administratifs et juridiques rendent encore son déploiement lourd et fastidieux.
Le besoin primordial d’adopter une vision d’ensemble
Au-delà des habitudes qui ont parfois la vie dure, le manque de compréhension – voire le désintérêt de la sphère publique – quant aux réalités et aux attentes de ces indépendants qualifiés freine leur capacité à se déployer au sein des entreprises.
Le cadre (administratif, réglementaire ou autres) d’une possible collaboration entre entreprises et indépendants manque cruellement de lisibilité : flou juridique autour de la notion même d’entrepreneur indépendant, risques potentiels sur le terrain du droit du travail, changements de processus et de cultures d’entreprise, etc.
Pour contrer ces obstacles, nous identifions plusieurs leviers. Revenons-en aux bases ! Nommons clairement ces entrepreneurs de l’économie des talents pour mieux identifier leurs besoins. Soit, tout travailleur qualifié qui fait le choix du travail indépendant et propose des services intellectuels à un client, quelle que soit son activité. Contribuons à faire émerger, pour tous ces talents, un sentiment d’appartenance à ce groupe aux besoins et intérêts communs, socle d’une future caisse de résonance plus audible et puissante pour faire entendre leurs revendications. Enfin, oeuvrons à convaincre les entreprises de se projeter sereinement dans cette nouvelle organisation.
Et pour que tout cela soit possible, il faut une clarification et la simplification des règles de collaborations entre entreprises et freelances, qui repose sur une vision d’une présomption d’indépendance appliquée à ces 600 000 oubliés de l’économie des talents Tout est là, à nous de jouer.