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Fraîchement débarqué des Antilles, où j’ai vécu dix années, mon projet est de partir en Afrique rejoindre un ami qui fait fortune dans le pneu. Sans argent, je dois travailler pour financer ce voyage. Commence une série de visites dans des cabinets de recrutement. Des psychologues me torturent à coups de tests dont je ressors avec l’impression d’être plus con qu’avant. Un jour, je déjeune avec un copain de table de poker perdu de vue depuis 10 ans et lui fais part de mes déconvenues. Il éclate de rire.
– Pourquoi te marres-tu ?
– Je suis DG d’un cabinet de recrutement…..?!
– Toi, le joueur de poker, tu diriges un cabinet, tu martyrises les candidats… l’autre jour, une psycho m’a reçu le dos tourné, elle, elle me voyait dans une glace, moi je parlais à sa nuque…
– C’est une malade… !
– En attendant, j’envoie des CV, je fais savoir à tout le monde que je suis sans job, je réponds aux annonces, en plus je suis disponible immédiatement…que faut-il de plus?! En tous cas, tu fais un métier de barges !
– Le métier change, les psychos sont en voie de disparition, il nous faut des gens comme toi….
– Jamais, moi, je pars en Afrique faire du business…
– Mon métier, insiste-t-il, est un métier de marketing, je rapproche des hommes, des marchés et des entreprises, et au passage je prends des honoraires…
– Très peu pour moi…
– Je suis sûr que tu ferais un carton dans ce business…
Les semaines qui suivent exacerbent ma haine du consultant en recrutement. La réalisation de mon projet africain s’éloigne au fil des entretiens. Dépité je rappelle mon copain de poker, et bon gré mal gré je signe un contrat de
travail avec son cabinet. Me voilà consultant parmi les autres. Bien sûr, en entrant chez lui, mon idée est de prendre pour moi tout poste basé en Afrique qui lui serait confié. Quoi qu’il en soit, je finance mon voyage.
– Je suis content que tu sois venu travailler avec moi….
Nous roulons sur l’autoroute en direction d’Orléans. Je commence ce matin, la première semaine je le suis et j’observe, après «tu te démerdes ! ». Nous arrivons dans une zone d’activités devant un bâtiment imposant et
sommes reçus par Jacques Urbain, le Directeur général la SFIA, Société Française d’Informatique Avancée.
– Cette fois, j’ai un poste très technique, la dernière fois, vous m’avez fait du bon travail … dit-il. Je cherche un directeur de projet trapu, pour prendre la responsabilité au niveau européen de la refonte du système d’information de notre plus gros client, une compagnie d’assurance.
Deux heures durant, il décrit le poste et très rapidement je décroche, ne connaissant pas le sujet. Mon patron pose des questions, opine du chef, réfléchit, il connait manifestement.
– Une pointure! Il dirige 50 chefs de projets, il me faut un grand manager, un super technicien, qui parle l’anglais mieux que le français, mobile sur toute l’Europe, mais au fait, votre spécialité, c’est plutôt le marketing et la vente...
Il a raison. Mon patron ne se démonte pas et répond que nous sommes un cabinet de recrutement généraliste avec un positionnement multi-spécialiste…
– Tenez, voilà la fiche des connaissances techniques qu’il doit a minima avoir…
Mon boss prend le document et me le confie. Je lis machinalement.
«…IBM MVS VSE AS400 BULL GCOS7 CGOS8 UNIX ICL Fichiers: Séquentiels, Indexé, VSAM, Ufas Base de données : IMS, DL1, IDS2, IDMS, IDMS/R, DB2, SQL, Oracle, Sysbase, Adabas, Datacom…»
Champollion devant ses premiers hiéroglyphes.
– J’ai le meilleur consultant en recrutement de Paris pour vous le trouver !
– Quand est-ce que je le vois ?
– Il est devant vous! dit-il en me montrant avec fierté.
Sans trop comprendre ce qui se passe, j’acquiesce. Urbain se lève pour me serrer la main:
« Bonne chasse, monsieur! »
Voilà 30 ans que je suis consultant en recrutement. Je n’ai jamais mis les pieds en Afrique. J’ai reçu plus de 20 000 cadres, étudié plus de 2 millions de CV et réussi plus de 1000 recrutements pour des entreprises de toute taille dans tous les secteurs de l’économie… et j’ai trouvé le Directeur de projet européen pour la SFIA.
Moralités de cette histoire :
1 – Un métier qui ne vous attire pas peut être une activité dans laquelle vous vous éclatez. A contrario, un secteur qui a priori vous plait s’avère, dès que vous le connaissez, un enfer que vous devez fuir.
2 – Une relation d’un domaine très éloigné du milieu de votre recherche d’emploi peut avoir votre solution.
3 – On trouve son emploi par des voies prises pour l’éviter
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