Si le concept de transparence n’est pas récent, il a acquis ces dernières années une force inégalée et une dimension qui couvre les champs politiques ET économiques, voire intimes… Erigé en vertu, il s’est imposé en principe d’action. Par « temps calme » ou en situation de crise, il constitue un nouvel horizon à la fois contraignant et indépassable. Il est pourtant relatif… Alors qu’est-ce que la transparence ? D’où vient ce concept et comment a-t-il évolué au cours du temps ? L’injonction de transparence constitue-t-elle un nouvel impératif catégorique ? Assiste-t-on à une forme de dictature de la transparence ? La transparence participe-t-elle à la délégitimation des acteurs et au désenchantement démocratique ? Principe de transparence : exigence morale ou régression démocratique ? Décryptage par un expert.

L’injonction de transparence, nouvel impératif catégorique ?

Ah la transparence… Quel mot magique paré de toutes les vertus. Pas un homme politique, chef d’entreprise ou communicant qui ne s’en réclame. Si vous ne faites pas preuve de transparence, point de salut !
Catastrophe industrielle, scandale DSK, affaire Cahuzac, crise Volkswagen, rémunération des dirigeants d’une entreprise, nominations, sécurité nucléaire, état d’urgence, liens entre médecins et industrie pharmaceutique, sous-traitance… rien n’y échappe. En communication de crise, la « transparence » fait d’ailleurs partie des mots clés et des postures qu’il convient impérativement d’adopter. Au delà de la sphère politique, le concept de transparence revêt une importance capitale dans le domaine économique. Dans un monde immatériel et tertiarisé ou la réputation participe de la puissance d’une marque et de la valeur qu’on lui accorde, la transparence devient un sujet économique et pas uniquement politique ou moral.
Peut-on s’accorder sur une définition de la transparence ? Dans le Larousse, la transparence, c’est la « parfaite accessibilité de l’information dans les domaines qui regardent l’opinion publique ».C’est donc une pratique sociale guidée par la sincérité. Elle s’oppose à l’opacité et a pour but d’établir une relation de confiance. Elle permet également de rendre compte d’une activité et de reconnaître ses erreurs.
Est-ce un  progrès ou une régression démocratique ? Ce qui est sûr, c’est que la transparence s’est affirmée comme une exigence morale sacralisée et s’est imposée dans tous les champs de la vie sociale. C’est un nouveau paradigme, un impératif catégorique au sens kantien du terme : une exigence morale et universelle. Rien ni personne ne peut s’en affranchir.

Transparence ou publicité ? De la lutte contre l’absolutisme à l’accomplissement démocratique

Le concept de transparence n’est pas récent. Il émerge à la fin du XVIIème siècle pour véritablement s’imposer au XVIIIème (le siècle des Lumières) où il est transposé dans la vie politique. La transparence accompagne alors le rejet d’un pouvoir absolutiste, secret et arbitraire. Mais à l’époque, on ne parle pas encore de transparence, on parle de « publicité ».
Emmanuel Kant et Benjamin Constant en ont été les grands théoriciens. Pour eux, face à l’absolutisme apparaît la nécessité de voir émerger une législation rationnelle constituée de normes générales et abstraites qui, pour être effectives, doivent faire l’objet de publicité. Car si « nul n’est censé ignorer la loi », encore faut-il que cette dernière soit non seulement accessible mais également portée à la connaissance des citoyens.
C’est là que l’on voit la subtile différence de nature et d’intensité entre la notion de « publicité » et le concept de « transparence ». Une différence fondamentale. On peut en effet avoir transparence sans publicité car la transparence, contrairement à la publicité, ne présuppose pas un accès réel et effectif à l’information. En bref, la transparence est une condition de la publicité mais n’en constitue en aucune façon une garantie. En ce sens, la publicité est une notion plus exigeante que la transparence. Pour qu’elle soit opérante, elle requiert des médiateurs, une presse libre, une société civile active, des contre pouvoirs, une opinion publique constituée qui a la volonté et la capacité de savoir et de comprendre… C’est la différence entre une démocratie purement théorique et formelle et une démocratie réelle et effective.
On attache à la publicité et à la transparence des notions très positives : légalité, moralité, véracité, intelligibilité, contrôle, responsabilité, honneur et réputation. Il est vrai que transparence et publicité concourent à l’information des citoyens, permettent de les rendre acteurs de la vie publique et partie prenante de l’intérêt général. En ce sens, ces concepts sont indissociablement liés à l’état de droit. Ils sont même consubstantiels de l’accomplissement démocratique.
Pour des raisons de simplicité et de praticité, cette subtile distinction entre publicité et transparence étant faite, nous n’y reviendrons pas et nous ne parlerons plus de transparence que dans son acception la plus complète, c’est à dire considérée comme couvrant l’accessibilité effective à l’information.

Sources :
J’ai eu recours à ma propre réflexion et à mes connaissances personnelles ainsi qu’aux articles suivants (merci aux auteurs) :
http://www.raison-publique.fr/article459.html
http://archives.lesechos.fr/archives/cercle/2011/12/04/cercle_40803.htm
https://dossiersgrihl.revues.org/6212