Management stratégique et complexité. Quelle que soit la qualité de la prise de décision et de la planification, les choses ne se produisent jamais comme prévu. L’entreprise est un système complexe où les collaborateurs interagissent au quotidien et en continu, influençant tout ce qui s’y passe. Il est donc crucial d’identifier et de tirer avantage de ce tissu d’interactions, ce qui requiert des cadres et des dirigeants une nouvelle approche de gestion, un management mobilisateur. Analyse et explications par Yves-C. Gagnon, expert-conseil en gestion du changement et management des technologies.

Management stratégique et complexité : les choses ne se produisent jamais comme prévu

Aujourd’hui, pour être un dirigeant ou un cadre efficace il est primordial d’adopter une nouvelle approche de gestion, un management mobilisateur. En effet, quels que soient les mécanismes utilisés pour encadrer le personnel et leurs actions, quelles que soient les règles, procédures et structures mises en place, quelle que soit la qualité de la planification stratégique et le nombre de plans élaborés, les choses ne se produisent jamais comme prévu.
Si vous avez besoin de vous en convaincre, il suffit de citer quelques manchettes que l’on trouve dans les médias :
– Le retrait du Galaxy Note 7, un échec cuisant pour Samsung.
– En quatre ans, Yahoo a investi 2 milliards $ dans l’acquisition de 50 startups, maintenant fermées pour la plupart. Cela force la vente de l’entreprise.
– Explosion de la navette spatiale Challenger, des débris et restes humains retrouvés.
– Lancé pour trois ans et 183 millions €, le chantier du désamiantage de l’Université de Jussieu durera dix-neuf ans, pour une facture totale de 1,8 milliard €.
– L’expérience britannique de faire appel aux entreprises privées pour garantir l’ordre et la sécurité lors des Jeux Olympiques a été un échec.
– Énergie du Mali, ou les paradoxes d’un « échec retentissant ».
– Naufrage du projet Phénix, le tout nouveau système de paye qui devait faire économiser 70 millions $ par année au Gouvernement du Canada.

L’entreprise : un tissu d’interactions véhiculant une multitude d’enjeux

Pourtant il n’y a pas lieu de douter que ces décisions aient été prises après mûre réflexion, sur la base d’études coût-bénéfice, d’analyses de faisabilité, de même que d’évaluation des risques. Ce n’est certainement pas non plus faute de ne pas avoir de listes exhaustives de facteurs critiques de succès pour encadrer leur mise en œuvre.
En fait, l’entreprise est un système complexe qui ne fonctionne pas par ses parties considérées individuellement, mais parce que celles-ci sont en continuelle relation pour former un tout cohérent. Au-delà de ses employés, de ses processus, de ses procédés et de ses produits ou services, elle est un tissu d’interactions véhiculant une multitude d’enjeux. Les acteurs interagissent au quotidien et en continu les uns avec les autres, influençant tout ce qui s’y passe.
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Relations formelles et interactions informelles

Concrètement, ces interactions sont d’abord formelles, se faisant lors d’activités structurées, où les participants y jouent leur rôle officiel. Mais elles sont tout autant, sinon plus informelles, se produisant dans les corridors ou devant la machine à café. Elles visent alors tant les enjeux organisationnels que ceux personnels à chaque participant. En effet, certaines fois, ces échanges peuvent être relatifs à des événements programmés, comme de définir une position commune en vue d’une prochaine réunion ou par rapport à l’annonce d’un changement.
Mais plus souvent, elles touchent la vie organisationnelle en général, les relations informelles de travail, les cliques sociales, les rumeurs, les réseaux naturels, les influences politiques, etc.
Aucun de ces arrangements informels n’est représenté dans les chartes organisationnelles et les organigrammes, ni rapporté dans les documents officiels, ni considéré dans les réunions formelles. Pourtant, ils contribuent tout autant, peut-être même plus que les dispositifs formels à déterminer ce qui se produit dans l’entreprise.

La pensée complexe pour une approche nouvelle de gestion

Cette complexité nécessite que tous ceux qui ont à intervenir dans l’entreprise inscrivent leurs réflexions et leurs actions dans le tissu d’interactions qui véhiculent les stratégies des différents acteurs organisationnels. Ils doivent composer avec les jeux de pouvoir et les enjeux tant collectifs qu’individuels. Ce faisant, les questions fondamentales auxquelles sont confrontés dirigeants, cadres, agents du changement, consultants et autres professionnels du management, sont comment :
– identifier et prendre avantage des interactions organisationnelles
– mobiliser cette capacité naturelle d’adaptation
– susciter l’engagement des acteurs organisationnels
– promouvoir l’innovation et la performance
Le seul moyen d’y arriver est d’avoir recours à la pensée complexe. Celle-ci rend d’abord conscient que l’inattendu arrive aussi souvent que l’anticipé et amène à voir les choses et les gens sous leurs différentes facettes. Également, elle lie et rattache les connaissances, par opposition au mode traditionnel de pensée simple qui les découpe en disciplines et les compartimente. De plus, elle décrit toujours les objets et problématiques dans leur contexte et la globalité dont ils font partie.
Par exemple, la pensée simplificatrice amènera à planifier un changement technologique à partir de la qualité des programmes informatiques. Dans ce cas, les questions les plus communes visent l’accessibilité, la sécurité et la disposition de l’information. L’objectif sera d’optimiser chacune de ces caractéristiques, dans le but d’assurer le succès de ce changement. C’est comme si pour un projet de barrage hydroélectrique on accumulait toutes les donnes nécessaires pour en assurer la sûreté et maximiser la production d’électricité, sans toutefois faire une étude d’impact environnementale et, surtout, sociale. Dans les faits, aucune technologie, surtout celles de l’information, n’est isolée des réalités humaines qui se concrétisent toujours dans un contexte particulier.
La pensée complexe ajoute donc qu’il est crucial de s’intéresser à ces dernières si l’on veut réussir le changement et, surtout, que la technologie donne les résultats escomptés. Ainsi, l’analyse devra porter sur d’autres logiques que technologique, notamment celle des humains touchés par ce changement. Jusqu’à quel point cette dernière affecte leur travail, les relations entre eux et avec la direction ? Comment perçoivent-ils qu’elle peut modifier les solidarités informelles qui ont, on le sait maintenant, un impact déterminant sur le fonctionnement de l’entreprise ?

Lunettes particulières et management mobilisateur

Plus encore, la pensée complexe impose le recours à des outils spécifiques. Elle nécessite des lunettes particulières pour observer, analyser et comprendre un phénomène. Ainsi, un projet à diriger ou à évaluer l’est toujours en prenant en compte le contexte où il a été conçu, celui de sa réalisation et sa place dans l’entreprise. La pluralité des lectures qu’en font les parties prenantes est aussi une information centrale. Il importe de savoir comment se construit le sens autour de ce projet. Les résultats seront considérés comme une émergence issue de l’interaction entre les acteurs. En résumé, dans la pensée complexe, il existe une dépendance mutuelle entre problématique, intervenants et entreprise qu’il faut décrire et arriver à synthétiser.
Mais, comment intervenir dans un système complexe comme l’entreprise ? Les moyens magiques sont : associer les collaborateurs, les faire participer, coconstruire avec eux. Comme le montre le graphique 1, on se retrouve alors avec les attributs d’un management qui devrait être en déclin pour être remplacé par ceux d’un autre en devenir, le management mobilisateur.
Ce dernier conduit à privilégier des axes stratégiques d’intervention qui seront abordés dans la suite de cet article : Complexité et transformation du management.

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