Pour apprécier ce récit, mieux vaut lire ou relire Un recrutement raté
Jacques Courtois se laisse tomber sur la chaise. Il est dans la panade. Avant qu’il n’ait ouvert la bouche, j’imagine ce qu’il ressent.
Après la mort du Président de la Mutuelle, celle-ci a été absorbée par la Mutuelle du Grand Ouest, son poste supprimé et ses responsabilités récupérées par le DRH de la Mutuelle qui les a absorbés. Le jour de son éviction il m’a appelé et nous sommes convenus de nous voir sur Paris pour faire le point.
– A 57 ans je suis foutu, personne ne me recrutera…
– Oubliez votre âge.
– Facile à dire…
– Salutaire…
– En tant que DRH, je suis bien placé pour le savoir, moins de 30 ans ou plus de 50, circulez, y a rien à voir ! Et moi qui pensais finir ma carrière à la Mutuelle…
Et il s’épanche sur son sort : sa femme insupportable, son inactivité, l’atonie des jours, le vide des vacances sans vacances, la rupture subie, le licenciement vécu comme un accident, un cancer, quelque chose qui n’arrive qu’aux autres.
– Vous avez peut-être trop planifié votre vie, aujourd’hui, on réussit et on échoue plusieurs fois, le but d’hier n’est pas celui de demain, la période exige du flou pour dévier quand la situation l’impose.
– Je n’intéresse personne… et les amis d’hier ont disparu.
– Monsieur Courtois, vous avez affronté des situations tendues avec les syndicats
– Ce n’était pas pareil…
– Je suis sûr qu’à l’heure où nous parlons, il y a en France une entreprise prête à vous recruter….
– Facile à dire…
– Vous verrez votre prochain job non parce que vous le guettez, mais parce que vous êtes prêt à le voir. Regardez ce qui se présente, au lieu de chercher ce que vous aimeriez voir, repérez ce qui arrive, et surtout ce qui arrive et qui n’était pas prévu ou prévisible. Et puis, avec vos convictions, cela doit être facile de trouver un sens à la vie, quelle que soit votre activité ou votre âge.
– Je le croyais, on se voit toujours plus jeune que ce qu’on est…
– Mieux vaut vous positionner par rapport à votre avenir, votre potentiel et vos capacités.
– J’ai quand même 57 ans…
– L’esprit d’entreprise n’a pas d’âge. De Gaulle a commencé sa carrière politique à 49 ans, il fuit en Angleterre et appelle à la résistance, il libère la France et à 54 ans rentre à Colombey-les-deux-Eglises. A 67 ans, il fonde la Vème République, fait deux mandats de président de la République et prend sa retraite à 78 ans.
– Il y en a un seul par siècle comme lui…
– Il n’y a pas plus de honte à être vieux que de mérite à être jeune. A tout âge, à tout niveau de compétences, vous pouvez vous en sortir…
– Ma femme n’acceptera pas que je fasse n’importe quoi…
– Vous avez tous les atouts en main : l’expérience, l’efficience, la sagesse, et surtout plein d’erreurs derrière vous, vous n’allez pas baisser les bras maintenant.
– Je manque de repère…
– Prenez du recul, faites le point…
– Vous ne croyez pas si bien dire… demain je pars faire une retraite avec mon épouse, puis nous allons faire Compostelle…
Courtois prétexte l’impatience de son épouse qui l’attend dans une brasserie et quitte mon bureau. Pendant plusieurs semaines, je n’ai plus de ses nouvelles.
Et j’égrène mon chapelet d’entretiens jour après jour. Le marché de l’emploi devient de plus en plus dur. Les postes à pourvoir officiellement – sur des Jobboards ou par des cabinets – correspondent à 20 % des offres totales effectives. Celui qui regarde tranquillement les jobboards et les sites de quelques cabinets de recrutement cible seulement 20% du marché. C’est pourtant ce que font 90 % des cadres. Mieux vaut s’occuper des 80 % des postes qui n’apparaissent pas au grand jour. On n’est pas responsable du marché, mais on a l’entière responsabilité de la manière de l’aborder. Le mode de pensée dans lequel on persiste produit immanquablement les mêmes conséquences. Et comme sur tout marché, c’est la différenciation qui fait le plus.
Comme cette jeune diplômée qui trouve son premier poste en avion. « J’étais aux USA en vacances avec mes parents, depuis 6 mois, je n’avais pas trouvé de job, mon père croyait que je ne faisais rien pour, il m’en voulait et me faisait des reproches pendant tout notre séjour… j’étais vexée qu’il pense que sa fille était nulle… Pendant le vol de retour de New-York, j’ai distribué mon CV en anglais à tous les passagers. Mon père était fou. Tu vas te ridiculiser, je ne suis pas avec toi. Je me suis dit : sur les 300 passagers, il y a bien 5 ou 6 patrons ou dirigeants. Au bout d’une demi-heure un homme vient me donner sa carte de visite en me conseillant de l’appeler à Paris. Mon père se redressa, un deuxième vint faire la même chose. Depuis mon père me regarde différemment… » Cette jeune diplômée trouve son emploi pendant ses loisirs, elle a compris comment cela marche. Elle touche ses cibles à un moment inhabituel, ils ont tous des centaines de CV dans leur boite mail, elle se distingue, et démontre qu’elle maîtrise la règle de la différenciation en marketing.
Au début de l’année suivante, Jacques Courtois vient me voir. Il s’est installé à Paris et à des nouvelles à m’annoncer. C’est un autre homme, les coudes sur le bureau, le regard qui pétille, il se lance :
– J’ai une nouvelle situation….
– Félicitations…
– C’est un peu grâce à vous…
– Vous aviez les atouts en main pour renaître … Votre retraite vous a fait du bien ! Finalement c’est mieux qu’un outplacement…
– Je me suis retrouvé, loin de la Mutuelle… la réponse à l’incertitude n’est pas le développement de la certitude… Au lieu de dépenser mes forces après des postes tous azimuts, j’ai bâti un projet avec votre épouse, sans projet on n’existe pas, comme vous me l’avez dit, il y a avait un poste pour moi au moment où l’on se parlait, encore fallait-il que je le vois… j’ai identifié l’activité qui respecte mon rythme, mon tempo, mes valeurs… C’est quand vous avez parlé du Général de Gaulle, bien après l’idée m’est venue, plutôt quand vous avez prononcé les mots Colombey-les-2-Eglises… oh, bien sûr, le job que j’ai aujourd’hui, n’est pas bien payé, mais il est gratifiant…
– Quel rapport avec Colombey-les-2-Eglises ?
– Je cherchais un emploi partout sauf… où il se trouvait. Je suis croyant, un métier qu’on aime souvent nous ressemble, aujourd’hui je gagne 2 fois moins qu’avant, mais je travaille en cohérence avec mes valeurs, et cela n’a pas de prix….
– Que faites-vous donc….
– Je suis secrétaire général d’une association qui organise les voyages à Lourdes de plus de 5000 handicapés par an, enfin une agence de voyage… qui appartient à la Congrégation de la Bonne Espérance,
“Le noms des personnes, des entreprises et des lieux ont été changés.”
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